Mundial ’78 : Don’t Cry for Me Argentina

 

 « Droit au but », au cœur de l’amical tumulte…

Seul Astor Piazzolla pouvait oser puis réussir cela, à savoir revisiter la musique dite programmatique, spécialité classée classique, remember par exemple La Mer selon Debussy ou Une symphonie alpestre du nietzschéen Strauss et tisser du tango les multiples émotions à celles du « ballon rond ». En 1978, l’Argentine accueille et récolte la Coupe du monde, alors sous la coupe du général Videla, qui d’ailleurs conviera notre compositeur à un repas, via une invitation évidemment inconvenante à évacuer. Que l’on apprécie ou pas ce sport de manière morale, à la conquis Camus, il demeure donc le thème principal d’un album musical assez magistral. En huit titres explicites, étendus durant une trentaine de minutes, l’auteur majeur transcende son matériau à l’unisson de la transformation du « nouveau tango ». Installé en Italie, escorté par le Conjunto Electrónico, formation à la dénomination en forme d’explication, déjà à l’ouvrage sur Libertango et Reunión Cumbre (aka Summit), opus pratiqué en tandem avec Gerry Mulligan, il séduit aussitôt, il ne renie rien, il explore encore et encore. Comme le dernier disque précité, celui-ci possède un double intitulé, rebaptisé en CD Chador, d’accord. Dix ans avant le soundtrack de Sur (Solanas, 1988), métrage idem digne d’hommage, sur lequel je ne reviens point, Piazzolla nous propose sa propre partie, sorte de match sans relâche, où se confrontent fissa la force et la fragilité d’une dynamique mélancolique assumée, remarquable et remarquée, caractéristiques en or du suprême Astor. L’auditeur sidéré, subjugué, assiste ainsi à un affrontement/enlacement, à la fois familier et singulier. À la veille du nouvel Euro, victime collatérale de pandémique psychodrame, la beauté bienvenue du bandonéon au mérité renom s’écarte à chaque seconde du terrain disons immonde du capitalisme à crampon, de la dictature locale sinon.

Chez l’admirable maestro se conjuguent illico sens et sensualité du (mélo)drame, sifflets sombres et sourires de désir, danse élancée des notes dans l’effort d’un corps aussi incarné que celui des onze types en train de courir, de sévir, de réjouir. Quelques esthètes ou experts, laissons-les faire, souligneront la qualité, la complexité de compositions mises au service du banal et trivial football, contrepoint jamais mesquin. Pourtant l’impulsif Piazzolla ne se soucie de ça et illustre de façon illustre la dialectique authentique d’un art populaire parce que savant, accessible puisque inventif. Les coups d’archet incisifs, quasi vindicatifs, ne visent pas à déchirer l’oreille, toutefois à franchir la frontière austère, imaginaire, économique et idéologique entre haute et pop cultures, à joindre les registres en existentielle et sensorielle soudure, réunion superbe en raison justement de sa nature impure. Si, en cinéphile, on peut (re)penser à L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty (Handke & Wenders, 1972), à nouveau noces d’Éros & Thanatos, à base d’expulsion et de strangulation, de jeu dangereux, d’errance à distance, Mundial ’78 déploie ses personnelles tension, vision, évoluant suivant sa sienne invocation, méconnue cérémonie de magie acoustique dont l’originalité, la vitalité, disposent de quelque chose à offrir, à transmettre, à notre modernité démoralisée, à moult « cartons rouges » mérités. Je n’écoute ni n’écris par nostalgie, je remercie le sieur Piazzolla d’être là, avec moi, charmant « champion » de la création vacciné contre les conneries de la consolation et les racismes de l’excommunication. Viva Italia ? Pas cette année-là, tant pis pour Platini, hourra Astor, alors.

Commentaires

  1. Merci pour l'agréable musical partage !
    en échos souvenirs personnels : Jean Guidoni chante "Masque noir" (Pierre Philippe / Astor Piazzolla) aux Bouffes du Nord, lors de la création de "l'opéra de chambre pour un homme seul" Crime passionnel, en 1982
    https://www.dailymotion.com/video/xsg09
    Jean Guidoni : ce que Astor Piazzola m'a appris
    https://www.nouvelobs.com/culture/20140710.OBS3427/jean-guidoni-ce-que-astor-piazzola-m-a-appris.html

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=aY-E8RS9vo4
      https://www.youtube.com/watch?v=863Yzl5l2NM&t=29s
      https://www.youtube.com/watch?v=AegUFLTBNxM&t=29s
      https://www.youtube.com/watch?v=MlMVagn-ZJw

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