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Un métrage, une image : L’Affaire d’une nuit (1960)

Pour Jacqueline

En 1963 sortira Les Oiseaux (Hitchcock), un an avant, via les « accords d’Évian », se terminera une fameuse « guerre sans nom », mais dès ici apparaissent deux « inséparables » et se perçoit l’écho du combat. En surface, il s’agit du récit d’un cocufiage effronté, éphémère, doux-amer ; en profondeur, de l’acide radiographie d’un certain état d’esprit. Même musiquée par le même Martial Solal et son jazz d’un autre âge, l’adaptation en tandem d’Aurenche & Jeanson ne dialogue avec le duo de Godard & Truffaut (À bout de souffle, 1960), demeure cependant un similaire et différent désenchantement, comme si, des « Trente Glorieuses » fugaces et fumeuses au mitan, quelque chose déconnait déjà, en tout cas pour ceux-là, paire de types pathétiques, assez antipathiques, rédimés par les solides Hanin & Mondy. Produit par sa Christine (Gouze-Rénal) à lui, le film s’avère un « véhicule » évident, pas seulement, puisqu’il manie en mode quotidien le motif du circulaire et mortifère « destin », constitue en compagnie des plus connus La Vache et le Prisonnier (1959), Mélodie en sous-sol (1963), une trilogie de l’échec à succès. Ni Huston ni sociologue, Verneuil observe de façon soignée, parfois inspirée, cf. la première scène de sexe, phares défilant au plafond puis escarpins récupérés, réenfilés, ou ce plan opposant les amants vus à travers un surcadrage tubulaire, des « cloportes » et une « souris », aussi une « fourmi », au moyen d’un vrai-faux et immobile road movie, autant enlisé, au propre et au figuré, que les bagnoles symboliques de Sautet (Mado, 1976). Le vaudeville dépressif se déroule sur fond de propos antisémites, xénophobes et sexistes tenus par un peintre raté, un enseignant de « boîte à bac » désabusé, démuni de moustache autrichienne et néanmoins pourvu d’un piètre copain, « capitaliste » viticole à la dame mélomane, aux gosses en photo, dont la pusillanimité égale la culpabilité. Ponctué des caméos de Bardot & Moreno, Dalban & Piéplu, L’Affaire d’une nuit jouit d’un titre polysémique, y compris au sens US de affair, cartographie une France presque « rance », susurre Sollers, peuplée de prostituées, de policiers, de vendeurs, d’ivrognes, de visons et d’andouillettes. Entre Claudel & Hugo, rasoir et mégot, pendule avancée + montre cassée, nostalgie pas jolie jolie du « bled » obsolète et amnésie de l’immanence, de l’imminence, du « coup d’un soir » et au revoir, notre trio d’anti-héros macère parmi son atmosphère délétère, tant pis pour la mimi Pascale Petit, épouse qui bouffe et baise, nantie d’un « mari à avoir un amant ». Sur le point de partir en train, de « rempiler » selon sa volonté, l’assureur de sécurité dégomme l’idéalisme et ironise sur sa chance de vite crever, « Castor » victime du matérialisme et d’une mensongère amitié.       

Commentaires

  1. Bel article qui souligne avec efficacité le côté désenchanté d'une société de pure jouissance et de quête de plaisirs à l'époque du tournant matérialiste comme ça pourrait se dire selon la doxa marxiste. Une belle évocation de la mythologie grecque et de la figure biblique de Lilith peut-être à la façon de Marcel Schwob, dans Lilith, Cœur double. Quelques éléments qui font réfléchir, le peintre (raté) la figure féminine idéale, la femme sans enfant et sans pari (les lits jumeaux) le passage de l'action le temps d'une nuit, la séduction d'un homme marié père de deux filles, le caractère trouble de la relation des deux anciens amis entre fascination trahison, les propos racistes et tout le toutim...
    et tout ça fait de ce film un extraordinaire témoignage à la fois de la société telle qu'elle était en réel, du cinéma qui se faisait au travers d'elle et des courants originels mythologiques et bibliques qui la traversent que beaucoup nomment destin.
    pour raison personnelle ce film me fait beaucoup d'effet,
    j'ai croisé dans ma jeunesse d'atelier un peintre qui ouvertement homosexuel s'était mis en ménage avec une femme de tête qui régentait sa vie...ça se passait aux ateliers de Montmartre aux artistes rue Ordener à Paris, un jour on l'a retrouvé pendu dans le nouvel atelier plus grand que cette femme avait pu lui faire obtenir parce qu'elle connaissait du beau linge dans la politique...elle je ne sais pas ce qu'elle est devenue mais à l'époque elle avait continué sa vie comme si de rien n'était ou presque......

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    1. https://mcronenberg.wordpress.com/2016/05/13/metamorphoses-des-mythes/

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  2. Merci cher cinéphile pour la dédicace !
    Bonus : "Cœur double : fantastique et effets de lecture"
    https://books.openedition.org/pur/39126?lang=fr

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    1. https://mcronenberg.wordpress.com/2016/04/16/alter-ego-et-gynecos/

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    2. Merci pour le partage des deux liens, billets nourris d'informations pour quelqu'une comme moi qui ne connait qu'à peine le réalisateur Cronenberg et ses nombreux opus....
      "Pour vous définir l'objet a du fantasme, j'ai pris l'exemple, dans La Règle du jeu de Renoir, de Dalio montrant son petit automate, et de ce rougissement de femme avec lequel il s'efface après avoir dirigé son phénomène. Qu'y a-t-il là derrière comme objet, qui introduise dans le sujet lui-même une telle vacillation" ? Jacques Lacan, Le Séminaire, livre VIII, Le transfert.

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