Les Compagnes de la nuit : J’embrasse pas
Instantané dépassé du passé ? Troupe impeccable de fable affable…
Pour Jacqueline
Le carton d’introduction
catastrophique et à la Cayatte inquiète, mais le métrage vaut davantage que sa dispensable
note d’intention désireuse de « servir la vérité », adressant ses
remerciements aux « Services Officiels », on frémit d’identifier
lesquels. Le parfait Pellegrin interprète un « fils de pute » au
propre et au figuré, file des gifles fielleuses ou fatales, ne déteste le
tilleul. À lui seul, son « souteneur » insoutenable, traumatisé par
sa maman putain à la Pas de printemps pour Marnie
(Hitchcock, 1964), muni d’une misogynie meurtrie, sans merci, mérite le
déplacement/visionnement vers ce soigné, assez intéressant, ciné d’antan. Les
Compagnes de la nuit (Ralph Habib, 1953), titre en toc de pseudo-poésie
médiocre, ne se limite à cela toutefois, affiche des femmes fréquentables,
plusieurs prostituées en pluriels portraits dépourvus de pathos, sinon de
manichéisme et de victimisation, maux de saison. Jamais misandre, plutôt dur et
tendre, il s’agit ainsi d’un récit écrit avec ironie – Constant collabora illico à Pépé le Moko (Duvivier,
1937) – de retour en arrière moins doux qu’amer, dont deviner vite le visage
trop sage de la narratrice exécutrice. Parmi cette exposition tout sauf
exhibition d’un capitalisme incarné, routinier, toujours à la recherche de « chair
fraîche », tel l’écran petit ou grand, « tout public » ou classé
X, deux plans poignants d’un enfant regardant, à l’écart, au miroir, répondent
à la solitude et à la douleur de Pierrette, elle-même mère orpheline, au fils
assassiné, fissa ouvrière envoyée au cimetière. La violence la plus
évidente et révoltante se situe de façon symbolique durant la destruction du
matériel médical destiné au gamin bancal, alors que l’horreur d’une face
féminine défigurée, vitriolée, en matière d’atrocités, rien n’invente notre
modernité, demeure invisible, verbalisée.
Commencé en thriller un brin langien à « féminicide » dédoublé,
ponctué de travellings épousant le
pas pressé, épuisé, des péripatéticiennes piégées, l’opus possède en sus une lucidité irréductible à une supposée
perversité utérine. Lorsque Olga, qui ne couche pas, en tout cas avec son
« employeur » de malheur, recadre son camionneur « romantique », « client » mécontent, ensuite écrasé rescapé, opéré, sous peu remis sur pied, le policier
humanisé pose sa patte diplomate sur l’épaule de la coupable libérable, elle s’impose
certes en cynique pragmatique, elle distance le danger, elle démystifie aussi
un certain imaginaire masculin enclin à reconnaître l’émancipation du « deuxième
sexe », à valider sa valeur commerciale et sentimentale et au même moment
à le soumettre de manière abjecte, via
l’outrage ou le chantage, la collusion de la prison ou la confiscation du
fiston, à se mettre en tête, asservissement inversé, de vouloir protéger la « petite
fille » esseulée, menacée, en « ours » maousse affamé de famille
idem divisée, mimi et médiocre,
généreuse et bourgeoise, l’épouse aux fourneaux, le mari à rouler de Paris à Bordeaux. Doté d’empreintes digitales documentaires, de témoins muets et
malins, remarquez le caméo de Louis de Funès occupé aux cartes et au café, d’une
« maison de redressement » (national) et surtout d’emprisonnement
(pétainiste), d’une romance de renaissance et d’un nouveau-né « métissé »,
d’une Yvonne naïve et conne, d’une rafle de flics fatalistes, de points de vue
subjectifs effectifs, le modeste Les Compagnes de la
nuit séduit et divertit. Ni Vivre sa vie (Godard, 1962) ni Belle
de jour (Buñuel, 1967), l’ouvrage du fugace Ralph, produit par le
versatile Ray Ventura, s’avère donc une valeureuse variation dédiée au « plus
vieux métier du monde » immonde, dit-on, assurément l’un des plus tristes,
scandale banal et trivial de démonstration marxiste.
Dans Extension du domaine de la lutte,
le court roman tragi-comique de Michel Houellebecq puis son adaptation
anecdotique et fidèle due à Philippe Harel (1999), le sieur Tisserand refuse le
foutre tarifé, constate que quelques-uns obtiennent un orgasme gratuit, d’amour
assorti. L’amour, en 1953, au cinéma, entre « toi et moi », ressemble
à ça, à une rencontre, des mecs qui s’affrontent, des femmes qui tombent, à une
France refroidissante d’enfance et de souffrance, où l’on baise à l’aise, où
l’on en fait du business, où l’on ne parle
pas encore de « travailleuses du sexe ». En 2021, en date du « sans
contact » patraque, on se came à la webcam,
on s’astique en autarcique, à la Nanni Moretti, oh oui, on se prostitue pour
payer ses études, on se vautre au creux onéreux des réseaux d’escorts accortes en antidote à une commune finitude. Combien tu
coûtes ? Comment tu m’écoutes…
Très beau billet, finesse et émotion, lecture sensible d'un film sombre, on n'est qu'un numéro de plus à classer aux" sommiers" chers aux romans durs de Simenon, entre maison d'abattage et entrée de l'usine, la même file d'êtres prisonniers chairs à canons ou de plaisirs, tout le monde va au turbin sous l'oeil froid d'un chef ou mac tour à tour enjôleur ou sadique, pas de pitié pour les brebis égarées, les naïves et les rêveuses et rêveurs, il y a vraiment quelque chose qui cloche dans ce monde boîteux...
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