Un roman russe
No
future ni culture, nul amour ni beaux
jours, loin de Saint-Pétersbourg…
Les donneurs de leçons à la con,
pléonasme, camarade, amnésiques, pathétiques, pseudo-démocratiques, censurent en
sus les artistes et les sportifs issus de Russie ? Raison supplémentaire,
Lara ma chère, pour découvrir l’ouvrage de Berberova, chouchoute d’Actes Sud, jadis
adaptée une fois au cinéma, da, puisque Miller mit en images L’Accompagnatrice
(1992). Le Laquais et la Putain démarre dare-dare, l’on se dit qu’il ne
saurait durer ainsi, malgré sa brièveté. En effet, une fois arrivé puis
installé à Paris, le récit ralentit, se soucie d’esquisser une stase, un
enlisement, virant évidemment vers un définitif dénouement. Dès l’instant où
l’anti-héroïne se met à lire, de la presse, du pire, à dévorer, se délecter, de
la rubrique cathartique et suicidaire des faits divers, on devine vite comment
tout cela finira, avec ou sans vodka. Il ne s’agit pas seulement de dégoter des
idées sur l’autosuppression assumée, il s’agit aussi d’entraîner au sein du
sinistre tracé celui qui se tenait à son côté, piégé d’un mensonge de
situation, d’occasion. Avant la vengeance, la fin de la souffrance, Nina, pas
celle, certes, de La Mouette, une réplique ironique se fiche du faux philosophe, fi
de Tolstoï, dépeint donc une orpheline habile, rétive au travail, autant qu’à
la marmaille. Si les cinéphiles pornophiles à peine se souviennent d’une certaine
et lettonne Tania Russof, appréciez au passage le pseudonyme catastrophe, cette
Tania-là rappelle Berg, pas Pabst, telle une Lulu exilée, délocalisée, délestée
de sa noirceur symbolique, mythique. Au commencement du temps Mitterrand, notre
universitaire octogénaire ressuscite le naturalisme, récupère la corporalité,
redéfinit la fatalité, esquive l’atavisme, conserve l’alcoolisme. Après Alexei,
soupirant d’Orient, se rêvant agent de renseignement, dément à la Maupassant,
après un « youpin » badin, au propre et au figuré pantouflard,
fuyard, entre en scène un serveur doté d’un cœur, présenté sous le titre anachronique
de « Lieutenant Bologovski », ancien cadet d’impériale cavalerie.
Entre les misfits, ça fait tilt,
aussitôt, au resto. Toutefois la « fille de fonctionnaire », moins
douce que très amère, du pays encore point poutinien, sur le seul de sa majorité, via une rouge
révolution virée, ne cède à la nostalgie, casse-toi, tovarich Tarkovski, elle croupit
plutôt parmi l’autoapitoiement, au milieu malheureux d’un misérable
appartement, dont la cour obscure, au ciel effacé, ressemble à un couloir
vertical, infernal et infect. « Mon Dieu, comme tout est triste en ce
bas monde… », résumé direct, au style disons indirect, placé à proximité
de la coupure, car œuvre noire aux deux parties de taille inégale. Pour éviter
l’envie, l’ennui, la pitié, la tendresse, l’inquiétude, la tristesse, l’impudeur,
la duperie, la putain attend le « larbin » emménagé, pourvu de paniers, au creux desquels
se saisir, vérifier, la présence trop séduisante d’un « browning russifié ».
Pourtant, rien ne remplace un pertinent étranglement, d’amant imbibé, dessillé,
assoupi, incapable d’entendre le bruit, rapide, foule de féminicide, de convenir
d’un absent avenir. Conte cruel écrit au cordeau, au scalpel, dégraissé de
sentimentalité, muni en format réduit d’un mimi Modigliani, Le
laquais et la Putain décrit un dédoublé destin, un naufrage dans les
parages d’une désillusion individuelle, au bovarysme de matérialisme,
collective, gueule de bois polaire à la suite des espoirs du Front populaire. Chef-d’œuvre
de poche ? Curiosité racée…
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