Mine de rien

 

Un métrage, une image : Passe ton bac d’abord (1978)

Ça balance, à Lens ? Pas pareil qu’à Paris, pardi, où s’enfuient enfin, à la fin, fi du destin, en tandem de déveine, deux mecs promis aux oubliettes, celles du giscardisme sinistre et sinistré, le premier, encore allocataire doux-amer, au chômage, au creux de la vague, de la capitale, le second, très petit employé de banque, plutôt que saltimbanque. Ce portrait de groupe paupérisé permit à Pialat, on le sait, de se refaire une financière santé, connut un modeste succès, cataplasme jamais misérable, posé sur le sec échec de La Gueule ouverte (1974). S’il poursuit le sillage et le style de L’Enfance nue (1968), s’il envisage déjà l’oisiveté désabusée de Loulou (1980), Passe ton bac d’abord paraît aussi annoncer en sourdine Noce blanche (Brisseau, 1989), puisque professeur de philo proche d’une de ses élèves un peu trop. Mais Maurice se soucie de réalisme, de comédie dramatique, cède à son confrère, bientôt rattrapé par la procédurière et sexuée modernité, le lyrisme tragique de la romance mélodramatique – à lui l’adolescente enceinte, « félicitations » en situation, voire, ironiquement, en raison du redoublement, à l’autre l’adolescente suicidée, espionne peu suspecte, à sa fenêtre, à Dunkerque. Dans À nos amours (1983), variation individuelle sur le même thème, en plus solaire, solitaire, solidaire, au grand air, Sandrine Bonnaire possédera l’âge du personnage, ici, Sandrine Haudepin, ses copines, ses copains, point. Pas grave, car le cinéaste s’attache à des jeunes à demi vieux, à demi malheureux, autour desquels gravite une poignée d’adultes pathétiques, mutiques, colériques, en particulier un pseudo-séducteur payeur, impayable, pitoyable, marié, largué, qui voudrait bien baiser (« Tu veux bien me baiser sur mon lit de jeune fille ? »), qui ne semble comprendre que tout le monde, au fond, à fond, au fond de cette France d’errance, de déshérence, où personne, surtout pas les sociologues, ne pérore à propos d’adulescence, se fait en définitive baiser, depuis des années, pas seulement au supermarché, déprime à proximité de la mine, platitude de la vie, de la ville, impasse du surplace, possibilité fugace, fissa refusée, d’un exil sudiste, grâce à une villa de photographe, une paire de VRP au projet peut-être dégueulasse. Film de classe sociale davantage que de classe d’Éducation nationale, Passe ton bac d’abord oublie le diplôme à la gomme, se focalise sur le collectif, familial, familier, guère attractif, associe l’autarcie à l’asphyxie, tout ceci le relie à La Maison des bois, oui-da. Quant au couple intranquille, à anguilles, on pourrait  parier qu’il reprendra la triste devise de celui de Jobert & Yanne, Nous ne vieillirons pas ensemble (1972), en effet, ta soupe d’entourloupe et tes couverts maculés, voici ce que j’en (dé)fais. Le café local s’appelle Chez Caron, tout un funèbre et funeste programme, non ? Cependant l’item de son temps s’avère en vérité constamment stimulant, pas un instant ou un plan larmoyant, parfois pourtant poignant, je pense à des répliques explicites : « Non, c’est pas la vie, ça », « C’est mal foutu la vie. On peut jamais aimer ceux qu’on aime vraiment », « À quoi tu rêves, ma fille ? À rien », au fossé formulé entre le père rendu malade, au sens littéral, par son travail, et le fils lucide, étalon d’occasion, à cavalière conquise. Dans Coup de tête (Annaud, 1979), le prolétariat, itou épris de foot, prenait sa revanche ; dans Passe ton bac d’abord, il prend le pli, il se replie, il se marie, noces à la Van Gogh (1991), il (se) reproduit, il survit, voui, il se souvient de Frou-frou, il affiche Che Guevara, voilà. Une quarantaine d’années après, l’opus de Pialat, dépourvu de pathos, de complaisance, pas délesté de tendresse et de pertinence, persiste à témoigner, a fortiori à l’approche de législatives au vernis d’extrême gauchisme. Ces filles et ces garçons, leurs descendants d’antan, Macron & Mélenchon ne les représentent, s’en impatientent, la cinéphilie, fraternelle, cruelle, ni manichéenne ni malsaine, s’en saisit et séduit aujourd’hui…                         

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