Que ma joie demeure

 

AVC, TGV, CGT, CQFD…

Le médiatique Michel délivre un « récit intime », le dédie à Audrey Crespo-Mara & Thierry Ardisson, anges gardiens intelligents, diligents d’entregent, à un toubib moins cathodique, « pour son infinie bonté ». Le Deuil de la mélancolie (se) remémore de manière douce-amère Le Malade imaginaire de Molière, à demi celui de Moretti (Journal intime, 1993), mais aussi, en conclusion d’obstruction, d’avérée altération, le célèbre et anxiogène Escamotage de Richard Matheson, « translation » de la perception substituée à l’effacement de l’environnent puis, in fine, de l’identité, du sujet. Onfray fait donc les frais de médecins malsains, finit fissa à Foch, examiné de tous les côtés ; lorsqu’il en sort, lorsqu’il s’en sort, un chariot de tombeau, « événement cinématographique parce que dynamique, dialectique », lui rappelle illico le démocratique mori memento, démontre en sourdine, en prime, que la maladie dépasse le bureau des admissions, le raccompagne à la maison. Si l’auteur, sidéré, moqueur, retrace une série de « ratés », consigne sur son cellulaire les jours solitaires, d’humaines misères, de scrutateur scanner, diariste hédoniste redécouvrant les vertus du stoïcisme, règle ses comptes et son compte au docteur amateur, (re)couvert d’honneurs, la partie la plus intéressante et intense de l’opuscule peu ridicule, un peu répétitif, un peu inoffensif, se situe au sein du passé ressuscité, de l’évocation d’occasion du cancer de Marie-Claude la bien-aimée, différemment, en simultané, avec la compréhensive et secourable Dorothée. Car ce dont souffre en sus le non-disciple de Freud, euphémisme ironique, quid de la liberté, de la responsabilité, en dépit de la « puissance » de l’inconscient, plutôt porté sur une « psychanalyse existentielle » sartrienne, ne saurait se réduire aux organes, au cérébral, s’origine parmi une femme, une famille, une pathologie impitoyable, irréversible. Les morts et la morte occupent-ils « trop de place » au creux du cœur du rédacteur ? À l’hôpital sans états d’âme, « le corps n’a pas d’âme », personne ne l’interroge, ne s’interroge. De l’éloge funèbre assez superbe, de la « leçon d’anatomie » tirée au présent, depuis l’enterrement, amitiés à Rembrandt, se diagnostiquent un « poids », un surpoids, une somatisation de saison, une cercle vicieux, malheureux, où la « surcharge existentielle se nourrit du deuil et de la mélancolie », qu’elle nourrit en retour, boucle bouclée de désamour. L’infarctus d’autrefois, le doublé d’AVC, font resurgir le souvenir d’un autre pire, attribuable à deux femmes fréquentables, l’enseignante résistante, liée à la Résistance, la mère accidentée, au bassin fracturé. L’enfance et l’adolescence, déjà en souffrance, assistent ainsi à du marxisme empirique, rétives à l’injustice causée par la « petite bourgeoisie », les « assureurs », les « médecins », les « employeurs », « leurs amis », admiratives des « vies de gauche », de la figure pure d’un père trentenaire, pas à la mode, pas à la gomme. Le livre de mort et d’amour, dans cet ordre, de l’ordre des choses, de leur désordre, ne supporte le pathos, vomit la « guimauve » de formules du style « prends bien soin de toi », etc., « affaire d’infirmerie ou d’hospice », « morale de dispensaire », puisque « vivre c’est prendre soin de ceux qu’on aime », amen, les êtres, les bêtes, les fidèles, les défunts. Un « clou d’obsidienne », sinon de cercueil, planté en pleine tête, il convient de se lever, relever, un « gilet pare-balles » porter, hors de la « tranchée ». Au terme du réel, le survivant visualise le « beau noir du néant », emprise de la « virgule de lumière grise », perte définitive d’un quart du champ visuel, les yeux vont mieux, a contrario du ciboulot, « qui leur dit ce qu’ils peuvent voir », ô désespoir. À l’incapable d’entendre, de répondre, Onfray déclarait : « Je te survivrai un temps, mais l’éternité du néant nous réunira. » Aguerri davantage que guéri, éclairé, littéralement, via l’aveuglement, aminci, à la « diététique appropriée », aux madeleines proustiennes, merci, il dit adieu à la mélancolie, sang noir, sang d’encre, au deuil pas fait, pas défait, qui tous nous fait, nous défait. Que reste la tristesse, qu’elle n’envahisse la vie, oui…

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