Road House

 

Mystères de l’amour, misères de la mort…

Au début de ce mois, Julee se suicida. En plus du lupus, salut à Seal & Selena, elle souffrit, semble-t-il, d’une dépression, dit-on. Soixante-cinq années représentent peu, par rapport à la majorité, à l’humanité, à l’éternité, toutefois lui suffirent à acquérir l’immortalité impressionniste du souvenir. À l’orée du CV, la voilà en Iowa ; au terme d’une brève vie, ternie par la maladie, elle s’endort du grand sommeil au sein du Massachussetts, les Bee Gees en gémissent. Entre-temps, la jolie Julee ne perdit pas de temps, collabora un paquet de fois, bien sûr scella son destin illico, au sommet de pics jumeaux, parmi deux hommes pas à la gomme, quel bien beau trio que celui-ci, David Lynch, Julee Cruise, Angelo Badalamenti. La fifille de dentiste, par un fil suspendue dans les airs jadis, puisque première symphonie industrielle, créée par le précité tandem, se fendit en sus de diverses reprises, de Bowie & Eurythmics, étrangeté éthérée, doux rêves souhaités, de Donovan & Elvis, saison de la sorcière, baisers d’été, larmes d’hiver, se déguisa sur scène en Warhol & Sontag. Certains l’entendirent chez Altman ou House, Martin Gore l’honore encore. La plupart des cinéphiles, a fortiori les mélomanes, les amateurs de micros, de dames, de mélodrames, n’oubliera pas celle qui, déjà de son vivant, désirait être incinérée, escortée de ses canidés, ensuite dispersée au-dessus de l’Arizona, où Harry zona, susurrait le MC Solaar de Nouveau western, afin que le rouge État se colore de bleu, de blues, de l’émouvante et stimulante mélancolie de Mademoiselle Julee, n’en déplaise à Strindberg. Dans un autre registre, vocal, musical, moins connu, moins reconnu, à la fois anecdotique et sympathique, elle se soucia en solo de l’art d’être une fille, elle se confessa au sujet de sa vie secrète, mais My Secret Life ne se hisse jamais, hélas, au haut nouveau de A Secret Life, l’album de Marianne Faithfull que mit en musique Badalamenti, bis. Trente-deux ans après le surgissement, le choc du soap interlope, que reste-t-il de Julee, sinon un lyrisme intime, des chansons d’amour enchantées, désenchantées, qui chavirent et déchirent, au même moment, à chaque instant, une voix comme incrustée au creux de la voie lactée, pour en éclairer l’insondable obscurité. Étoile morte de toiles amerloques, crooneuse pas crâneuse, sirène espiègle et femme en flammes, Julee Cruise se saisit ainsi du flambeau de ses consœurs dotées d’une âme et d’un cœur, guides magnanimes de mecs parfois aimables, souvent abominables. En elle se fondaient en fait la fée Clochette et la dame du radiateur de Eraserhead (1977), l’enfance et la souffrance, le magnifique et l’horrifique. Tel un ange étrange, apte à flotter dans la nuit, à tomber dans le vide, à tomber amoureuse, assortie d’un rossignol et d’un cygne, amitiés à Marie de France, à Tchaïkovski aussi, elle se posa des questions colorées, cruciales, sentimentales, elle réinventa la voix de l’amour, la voie du désamour. En compagnie de Julee, différemment de la toupie Kylie, le monde tournait, tournoyait, à la folie, à l’infini, au ralenti, il tournait mal, il tournait mâle, il tournait mieux, heureux les malheureux. Miss Cruise sublima la nostalgie, cependant décédée sans regrets, sans regard (re)tourné vers le passé, moralisme de stoïcisme, fi d’Orphée, vive Eurydice. Au royaume des fantômes, elle doit désormais charmer la chère Laura Palmer, la bercer de ses é/invocations sotto voce. D’ici, adieu et merci, Julee…      

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