Les Yeux sans visage

 

Un métrage, une image : The Headless Eyes (1971)

Matrice apocryphe de Driller Killer (Ferrara, 1979) ? Plutôt petit opus pas si déplaisant, dépourvu de perceuse cependant, car accumulation d’énucléations. Le très obscur scénariste et réalisateur Kent Bateman, homonyme de Patrick, l’anti-héros de American Psycho, pareillement mythomane, supérieurement mélomane, portraiture un type en rupture, un artiste qui assassine, s’excuse de blesser, un créateur destructeur, vite envahi par un double à domicile. Voleur d’envapée, notre Arthur Malcolm se retrouve sans tarder éborgné, c’est-à-dire émasculé, pontifient les psys. D’une ville à la suivante, d’une côte à l’autre, de l’Ouest vers l’Est, il se transforme en somme en tueur en série, féminicides imaginés ou commis. Maniant voire magnifiant les miroirs de l’âme de ces dames, prostituée portée sur le lexique correct, politique, « streetwalker », mon cœur, actrice à l’audition de carnation, ménagère presque dans les airs, sur les toits, parmi des draps immaculés traquée, enroulée, il les « préserve » aussi sec, les incruste au creux d’un écrin transparent, momification du mouvement, affirmait du ciné le point malsain André Bazin. Film fauché, curiosité à succès, que le classé X Henri Pachard produisit, The Headless Eyes manque de rythme et de comédie, se munit de réalisme et d’ironie. À côté du glauque New York de Bateman, celui de Ferrara, Fulci, Henenlotter ou Scorsese paraît quasi une carte postale, puisque la Grosse Pomme à la gomme dissimule un ver vorace, quinze victimes au compteur, tu meurs, insoupçonnable, insoupçonné, filmé au milieu des curieux, reportage d’outrage, cadavre en coda. Le pirate patraque annonce la couleur, la douleur, à son ex argentée, venue le visiter, lui donner des nouvelles de sa maman, arrière, Norman (Psychose, Hitchcock, 1960), baignoire en bonus. « I am twisted, I am sick », yes indeed, aussi son émancipation d’impuissant mecton passe par un amas de mutilations. Bo Brundin se débrouille assez bien au sein de ce rôle de cinglé dessillé à la cuillère à thé, qui finit refroidi, façon Nicholson (Shining, Kubrick, 1980), mouroir d’abattoir, salut à Massacre à la tronçonneuse (Hooper, 1974), tandis que le flic fatidique, fantastique, maousse, à ses trousses, termine de respirer à proximité de la tombe déjà creusée, prête à être utilisée, rêve ou réalité, à vous de décider. En quatre-vingts minutes de calme tumulte, Bateman radiographie donc une épiphanie, une folie, dont l’intermède sentimental, d’admiratrice in extremis, de rédemption d’illusion, présage en sus la romance à contre-courant de Maniac (Lustig, 1980). Assorti d’une bande-son à l’unisson, d’une liminaire défenestration, The Headless Eyes ressemble à un mauvais trip insolite, un condensé de l’insanité étasunienne, urbaine, puritaine, comme collatérale aux atrocités, pas uniquement télévisées, vietnamiennes. Malcolm y dégomme des fêtards hilares, qu’encadre et surcadre sa boutique tragique, tandem médiocre métamorphosé en nature morte, ensanglantée, marteau du marteau, secrétaire au cutter. Enfermé, frigorifié, fixé par les yeux crevés des animaux inanimés, figé en image arrêtée, sa signature de sang apposée sur la lourde porte d’acier, Omar ne m’a pas tué, l’oculiste non conventionné (se) survit via sa voix off, répétant à l’infini le faux « I am not finished », fi du « The end », hein. Au début, alité, des globes suspendus l’observaient, mille yeux de Mabuse, Bataille & Caïn…          

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