L’Œil du labyrinthe : La Fille en rouge


Le jaune de sa jupe, le rouge de sa robe, l’airain de ses seins…


Item touristique et tragique, L’Œil du labyrinthe (Mario Caiano, 1972) mélange More (Barbet Schroeder, 1969) à L’Oiseau au plumage de cristal (Dario Argento, 1970). Opus de son époque, sinon de son pays, L’Œil du labyrinthe abonde en panoramiques, en plans à l’épaule, à objectif grand-angulaire, en zooms avant et arrière. Co-production italo-allemande, L’Œil du labyrinthe bénéficie d’un casting choral impeccable, composé par Mesdames Sybil Danning, Elisa Mainardi, Alida Valli et Messieurs Adolfo Celi, Horst Frank, Benjamin Lev, Michael Maien, Franco Ressel ; mention spéciale, bien sûr, à l’éphémère Rosemary Dexter, actrice britannique puis italienne, au destin guère serein, dont le talent et la beauté esquivent l’usure des années, via une valeureuse VOST restaurée. À la suite de deux réussites, dans le « fantastique » (Les Amants d’outre-tombe, 1965) et le western (Un train pour Durango, 1968), il (piccolo) maestro Mario Caiano réalise et co-écrit un « giallo », à base de jalousie et de folie – pas seulement, Dieu du ciné merci. En sus d’une satire seventies de l’hédonisme communautaire, insulaire, parasitaire, de son cynisme complice, d’un art poétique qui affirme le caractère heuristique des œuvres, toiles de tableau ou d’écran, voici en effet un pertinent portrait de femme très tourmentée, aux cauchemars carburant à la culpabilité, à l’amnésie choisie, au parcours parallèle à celui d’un certain Œdipe. Comme le détective dépressif et in extremis (con)damné de Angel Heart (Alan Parker, 1987), la jeune et jolie Julie erre en enfer, cette fois-ci solaire, pénètre à l’intérieur d’un « nœud de vipères » et se découvre en coda double – triple, peut-être, gare à la cigarette suspecte – meurtrière.


Autour de ce soleil noir de solitude et d’incertitude gravitent de tristes satellites, gangster vénère, mécène obscène, photographe fétichiste, preneur de son (infanticide ou incestueux) à séjour en asile, gigolo pas rigolo because accro à la coco, orphelin taquin, couple à disputes déjà transgenre, directrice d’établissement délatrice et, last but not least, âpre psychiatre « diabolique », dealeur, harceleur, mateur et violeur, fichtre, à effaroucher Foucault and Co. Caiano tamise sa misanthropie à la Mario Bava, illustrée par exemple par le jeu ce massacre(s) de La Baie sanglante (1971), d’une empathie distante pour la lucide démente, cernée, voire consternée, par les misérables spécimens de l’(in)humanité précités. Il signe, aussi, ainsi, un film féminin et féministe, où l’héroïne, objet du désir exposé en mini-jupe, en bikini, topless, finit par enflammer les hommes, au propre, au figuré, par les décapiter, par les poignarder. Contre le machisme insistant, sa (pas si) discrète insanité possède des airs de nietzschéenne « grande santé ». Face à la menace des autres femmes, sa violence ressemble à de la souffrance. On le sait, un labyrinthe égare, « confond », abonde le spécialiste Borges, annexé en citation, alors que le dédale procède de la pierre tombale, ne dispose d’aucune sortie, différence de forme, de projet, de perception et d’interprétation, cristallisée huit ans après par la conclusion explicite et ironique de Shining (Stanley Kubrick, 1980), à nouveau « film cerveau » d’isolement et d’impuissance. Au bout de son voyage au bout de la nuit, Julie s’éveille, se réveille, se révèle à elle-même, transperce le voile des (dés)illusions et le mince tissu du transat immaculé du marionnettiste immonde.


Jusqu’au visage de Julie disparaît, captive du vide, délivrée de toutes les vilenies, exécutrice privée d’identité, prise à contre-jour et en contre-plongée, silhouette de suspecte parfaite, à la The Shape (Halloween, John Carpenter, 1978), se fichant follement de la sirène policière et du jazz amer (de Roberto Nicolosi) présents sur la bande-son. Dotée du rôle d’une carrière, auquel elle confère sa sensuelle mélancolie sudiste, la regrettée Rosemary Dexter s’éclipse, presque à la Michelangelo Antonioni, fée fatale à la Nerval, petite fille régressive, à gros couteau de giallo, désormais inaccessible et cependant, à sa manière modeste, mesurée, intense, bel et bien bouleversante.


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