Le Festin de Babette : Poulet au vinaigre


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Gabriel Axel.


I will not go
Prefer a Feast of Friends
To the Giant Family

Jim Morrison, An American Prayer

Évidemment à des années-lumière du Danish master Dreyer, même quand il réutilise plusieurs membres de ses bandes, réunis en impeccable casting choral, caméo concon, en costume, de la bergmanienne Bibi Andersson inclus, voici donc un (télé)film au filigrane féministe, petit portrait attendri et amusé d’une communauté austère, autarcique, pourtant un peu perturbée par une triple altérité, militaire, opératique, gastronomique. Conte œcuménique, à la pensée sereine, adapté par le réalisateur mineur, d’après la locale Karen Blixen, découpé en trois actes équilibrés, passant du présent au passé, puis l’inverse, Le Festin de Babette (Gabriel Axel, 1987) fit recette, plut en Europe, rassura aux USA, s’y vit remettre une statuette suspecte. Ainsi, les ami(e)s, il suffirait de s’attabler, de très bien manger, pour pouvoir s’apaiser, se pardonner, se réconcilier, se mettre à danser, farandole sous la voûte étoilée, « rapprochée » ? Quant à la réplique presque finale, résumé de morale, « Un artiste n’est jamais pauvre », amen, elle dut faire rigoler outre-tombe tous ceux, dits « maudits », qui crevèrent de misère, sinon sourciller les fameux « intermittents du spectacle », (sur) vivant au gré des ans, merci aux subsides étatiques, plutôt qu’au gros lot de loterie, eh oui. Allons, me dira-t-on, ne faites point « la fine bouche » devant un tel ouvrage (d’un autre âge), feel good movie assumé, récompensé, assez fade « festin », toutefois recommandé par… le Pape, putain. Justement si, puisque le cinéma, oui ou non danois, ne saurait se réduire à cela, que ça vous plaise ou pas. Face à l’académisme pictural d’Axel, celui du compatriote Bille August, je pense au contemporain Pelle le Conquérant (1987), idem item mondialisé, célébré, davantage doloriste, pseudo-marxiste, paraît expérimental.




Dans les deux cas, faisons fissa, les œuvres valent d’être vues en raison de la présence intense d’une actrice, d’un acteur. Exit l’héroïque et tragique Max von Sydow, voici, dotée d’un talent tout autant évident, l’admirable (et regrettée) Stéphane Audran, actrice délicieuse, audacieuse, admirez son danois, diantre. Grâce à sa grâce, la fable inoffensive sur la Grâce, les nourritures terrestres et célestes, la générosité au carré, prend une ampleur (et une douleur) particulière, laisse apercevoir sa mélancolie dissimulée, structurelle, démultipliée, plurielle, cf. les regrets du gradé, de l’artiste (« lyrique ») désormais esseulé, sa gloire (tré)passée. La superbe Stéphane, fringuée en Lagerfeld, auréolée de sa rousseur altière, de vraie-fausse sorcière, de quoi causer des cauchemars à succube, à bestialité, chez les puritains hospitaliers, de surcroît à l’occase de l’anniversaire du pénible pasteur, bouleverse via une discrétion janséniste et conserve jusqu’au bout d’absolution, à la limite de l’extrême-onction, le Paradis vous attend, Mademoiselle Audran, son clair mystère d’épouse et de mère, en tandem endeuillée, en solo exilée, à cause de la Commune – que les « gilets jaunes » jaunis « en prennent de la graine » aujourd’hui – et surtout de sa répression, conduite, suprême ironie, par un marquis énamouré de sa cuisine, mince. Personne, en tout cas pas moi, ne peut certes passer sa vie de cinéphilie à suivre de façon exhaustive la filmographie de ses interprètes favoris. Il n’empêche que la Babette pas bête, munie de l’âme de Stéphane, sans peine (me) désarme, séduisit durant une soirée. Quel goût posséderait l’opus avec à sa place la valeureuse Catherine Deneuve, sollicitée, in fine (par ses soins, frileux un brin) refusée ? Question rhétorique, what if fastidieux.




En l’état, à sa modeste mesure, le métrage d’Axel, traducteur à demi (in)fidèle, parce que pédale radoucie sur la satire religieuse, ne mérite ni la consécration, ni la destruction, a fortiori en France, où l’on « fait tout un flan », depuis (trop) longtemps, expression de saison, de la (grande) bouffe, de son art un chouïa dérisoire, de sa renommée maousse. Entre le craquant « cake d’amour » de Catherine concocté par Jacques Demy & Michel Legrand (Peau d’âne, 1970) et le beau baba au rhum guère roboratif, dommage, de Stéphane, je m’abstiens de choisir, je préfère élire en simultané deux femmes fréquentables, deux féminités de (plat de) résistance, de persévérance, de seconde chance, au-delà d’un inceste ou d’un massacre, à vous couper l’appétit, tant mieux et tant pis. 


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