Burnt Offerings : L’Été meurtrier
Arnaque de vacances, botanique d’existence…
Un
Shining
(Stanley Kubrick, 1980) estival ? Un La Maison du diable (Robert Wise,
1963) en mode familial ? Sans doute et davantage. Deux années après la
réussite à la TV de Dracula et ses femmes vampires (1974), Dan Curtis se délocalise
du côté d’Oakland, Californie friquée, s’installe à Dunsmuir House, imposante propriété
sous peu investie pour le tournage de Phantasm (Don Coscarelli, 1979), encore
un conte à croque-mort. Sur la base d’un scénario co-écrit en compagnie du
romancier William F. Nolan, aussi scénariste de L’Âge de cristal (Michael
Anderson, 1976), il adapte un bouquin de Robert Marasco et dirige un casting de haut niveau, composé par
Karen Black & Bette Davis, Oliver Reed & Lee H. Montgomery, les caméos d’Eileen Heckart & Burgess Meredith, n’oublions pas Anthony James en
« chauffeur » à faire peur, surtout les orphelins point sereins. Itou
producteur, Curtis s’associe au disons légendaire Alberto Grimaldi, partenaire
de Leone, Lenzi, Fellini, Pasolini et même, à l’occasion, de Cavalier, Lelouch
ou Scorsese. Quand on construit un huis clos, oui ou non en studio, le rôle du
décorateur devient déterminant, alors saluons le travail du vétéran Eugène
Lourié, à peine sorti de la série Kung Fu et bientôt à l’ouvrage
(testamentaire) sur l’utopie de Bronco Billy (Clint Eastwood, 1980).
Apparemment filmé en une trentaine de jours au mois d’août 1975, Burnt Offerings (Dan Curtis, 1976) ressemble à un suave mauvais rêve, à une
fable infernale affichée en soft focus. Ce métrage d’un autre âge, dont
la lenteur de malheur impatientera les spectateurs pressés, séduit aujourd’hui
par sa tonalité adulte, sa capacité à portraiturer un tendu tumulte, la piscine
placide, soudain très agitée, en métonymie explicite du mouvement d’ensemble.
Que nous offre Burnt Offerings,
opus peu spectaculaire et pourtant
assez impressionnant ? Un récit de destruction et de renaissance, de
« piège » de piaule vampirique, sudiste, presque à la David O. Selznick, incroyable
location d’été, bradée par un frère en fauteuil et sa sœur « fêlée »,
dixit « l’homme à tout
faire » froidement vénère, aux dépens d’un couple avec
« tantine » et enfant, au profit d’une mère invisible, inaccessible,
recluse sous les combles. Grâce à ce personnage d’Arlésienne malsaine, Burnt
Offerings,
aka Trauma, titre homonyme (Trauma,
Dario Argento, 1993), relie bien sûr Psychose (Alfred Hitchcock, 1960) à Suspiria (Dario Argento, 1976). Dans
le contemporain Obsession (Brian De Palma, 1976), idem démonstration d’onirisme, cette fois-ci incestueux, merci au
maestro directeur photo Vilmos Zsigmond, le temps opérait en replay, boucle bouclée de féminité
tourmentée, magnifiée par un travelling circulaire à 360 degrés. Ici, les semaines incertaines (ra)mènent à la ruine et au regain,
la trajectoire illusoire se conclut par trois climaxes accolés, une incarnation,
une défenestration, un infanticide, fichtre. Au sein du cercle sans fin
d’abandon et de floraison, les Rolf font de la figuration, prisonniers d’un
passé impitoyable, d’un éternel retour causant leur désamour. Curtis écrase ses
cobayes coopérants ou récalcitrants en contre-plongées à la Welles, à la
Winner, sonde les visages, affectionne et chérit les fondus enchaînés. Qui
remonte les horloges (du nocturne Jean Rollin), sinon la soumise Marian (de ma
jeunesse se souvient Duvivier), épouse de son époque, fissa déguisée en
maîtresse (de maison, de déraison) issue du Southern
Gothic ?
Si Les Chiens de paille (Sam
Peckinpah, 1971) transformait à domicile un mathématicien pacifiste en
exécuteur d’agresseurs, de quoi effaroucher les féministes, Burnt
Offerings donne à voir un avatar de Médée, peu à peu séparé de son
« doctorant » mari, de son douloureux Davy, proie volontaire d’une
hantise délétère, mortifère. Néanmoins, cette troisième mère, sillage de celle de
Ben, de celle d’Arnold & Roz, retrouve un instant ses esprits, s’émancipe
de celui, nocif, persuasif, du lieu trop bienheureux, lorsqu’elle se jette
littéralement à l’eau, afin de sauver une seconde fois son marmot, victime
aquatique auparavant à demi noyée par son méconnaissable et à présent
catatonique papounet. On le sait, Amityville : La Maison du diable
(Stuart Rosenberg, 1979) versera vers la satire, la comédie noire d’horreur
dite économique, déploiera la dangerosité de la propriété, espace et statut.
Curtis, quant à lui, se soucie de sa petite tribu, du tribut qu’elle va devoir
verser aux drolatiques et inquiétants héritiers. A contrario des Torrance,
déjà maussades, en souffrance, avant d’atteindre le cimetière (indien) hôtelier
de l’Overlook, ou de la famille faussée, truquée, Ricoré, du commencement de Martyrs
(Pascal Laugier, 2008), les Rolf se signalent par leur sincérité, leur
complicité, leur humilité, leur fraternité. Le cinéaste précis, impliqué,
indépendant, pertinent, ne perd pas son temps ni le nôtre avec une peinture
imposture de piètres parvenus, propices à servir subito presto de faire-valoir
à une effusion d’artifices, a fortiori
marxistes. La panoplie des spectres obsolètes, des phénomènes paranormaux à
gogo, d’une quelconque malédiction de saison, à la con, de dérisoire démon, Curtis
s’en fiche et s’attache à une violence différente, domestique, dévastatrice.
Placé sous le signe du réalisme, même
durant une attaque d’arbre, une vengeance de vigne, nature en clôture, Burnt
Offerings vise à asphyxier, plutôt qu’à époustoufler, à distiller son
poison, sa persuasion, au lieu d’en mettre plein les yeux, de rassurer par la
surenchère. N’en déplaise au spécialiste Roger Ebert, il ne saurait s’agir d’un
énième exercice opportuniste de « silly trash », mais bel et bien
d’une réflexion en action(s) sur la solitude, la finitude, dotée d’un fantastique
cyclique, voire cosmique, préoccupée par une monstruosité d’intimité,
d’intériorité, de renversement des valeurs sociales devant une entité amorale,
retour au comte aux dents longues, donc, l’érotisme morbide et la xénophobie
insulaire du chef-d’œuvre multimédia de Bram Stoker en moins. Muni de zooms vintage, pas un brin viscontiens, quoique, puisque mirage et
naufrage, dommage pour les rivages de Venise épidémique, d’une judicieuse
utilisation du son – la seule scène extra-muros crée (hors-champ) un cadre urbain via l’unique moyen d’une lancinante
sirène anxiogène –, d’une chasteté justifiée, inutile de gaspiller les forces
vives des individus s’adonnant à la libido,
d’une serre envoûtante à la Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958), Burnt
Offerings,
appréciez l’intitulé poétique, hébraïque, se termine sur un air mélancolique de
boîte à musique, sur des portraits de trépassés alignés en triptyque, de quoi
inspirer Stanley Kubrick. Davy, Ben, Elizabeth nous regardent depuis la tombe
dédoublée, de l’histoire, du miroir, nous renvoient vers notre propre destinée,
chronique d’une mort annoncée, transposée. Pour que persistent le manoir et
l’Histoire, un sacrifice humain, une offrande folle, enflammée, s’avèrent en
effet nécessaires, morale douce-amère d’un item
amoureux, vénéneux, au déchirement à retardement, à l’impact permanent, d’une
œuvre claire et linéaire, car conduite par un familier mystère.
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