Grease : Travolta et moi
Du miel à la truelle ? Diptyque de pépites…
N’en déplaise aux spécialistes, au critique
Kant, le sublime peut aussi procéder du risible, au lieu de flanquer l’effroi, de
flanquer les foies, au moins parfois, surtout au cinéma, surtout à gomina. Le
dispensable Grease (Randal Kleiser, 1978) présente ainsi deux instants
assez intéressants, sinon séduisants, unisson de chansons de (désespérée)
dévotion et de (mauvaise) réputation. Certes, de supposées lycéennes s’y voient
interprétées, double sens, par d’avérées trentenaires, en duo à distance,
solidaire, mais la magie, pas seulement musicale, muséale, sentimentale, opère,
la « suspension d’incrédulité » possède une certaine solidité. Opus d’adolescence(s) et d’apparence(s),
Grease
se mire au miroir ludique, liquide, du désir, de la nostalgie, des identités
sexuées de communautés archétypisées, des images-mirages d’un autre âge, à la
fois subjectif et collectif. Par conséquent, il devient cohérent que l’esseulée,
voire exilée, Sandy Olsson sorte en pleine nuit, sur le porche de la maison de
son amie, pas celle d’Abbas Kiarostami, OK, dérive en douceur vers une piscine
portative, où apercevoir son Narcisse du soir, le souriant et si beau Danny
Zuko, meilleur ennemi pour lequel, in
extremis, elle se transformera, se frisera, se réinventera en vamp irrésistible, en ange noir de
finale foire. Tournée en dernier, la séquence se base sur une bonne chanson,
Verlaine valide, composée pour le film, en sus du hit énergique You’re the One That I Want, par John Farrar, artiste australien et donc
compatriote de la sympathique et convaincante Olivia Newton-John, bien servie
en solo quasi country, de ballade contractuelle, par un
parolier/compositeur/producteur plutôt inspiré, presque oscarisé, alors que le
titre irritait Randal et les producteurs, dommage.
Sa lettre d’amour parfumée, Sandy la
susurre, assise sur un escalier, de préférence en plan-séquence, un petit vent
avenant fait frémir joliment l’immaculé ruban de son léger chemisier. Elle
monologue, elle s’interroge, elle hésite entre l’esprit, la raison, et l’élan,
la déraison. Sa main fine finit par effacer le reflet adoré, tandis que la
caméra recule et s’élève en travelling
arrière, en mode Metro-Goldwyn-Mayer, vient la cadrer de loin, auprès d’un lampadaire
de jardin, sur un tapis de feuilles d’automne, d’inoffensive mélancolie. Entre
valeur du visage et trivialité amusante, amusée, se délivre un mélodrame,
acception littérale, domestique, délectable et anecdotique. Une brune embraie
sur la blonde : dotée d’un faux air de Liz Taylor, Stockard Channing
chante juste et rend justice à un morceau du musical original, signé par le tandem
Warren Casey & Jim Jacobs. Betty
Rizzo à son tour frise les trémolos, se révèle en vérité tout sauf une fille
facile, davantage une fille fragile, diraient Jean-Loup Dabadie & Julien
Clerc. Ici, Kleiser la cadre solitaire, au creux de l’établissement scolaire,
en travelling latéral au fil de sa
(dé)marche, comme séparée du reste du monde en train de s’amuser, derrière
d’imposants piliers appuyée, protégée, confession au conditionnel au sujet de
ce qu’elle pourrait faire, ou défaire. L’ironie de l’imaginaire récit inclut
des douches froides quotidiennes, se défie du rêve irréalisable, irréalisé. Se
croyant enceinte, elle esquive son amoureux, l’épie un peu, retourne à
l’intérieur, grand angulaire substitué au grand air. Bénéficiant d’une
direction de la photographie soignée, due au DP Bill Butler, partenaire
important, en ce temps-là, de Coppola, Forman, Cammell ou Hyams, les numéros en
stéréo n’en font pas trop, se caractérisent par leur modestie, leur sincérité,
leur authenticité.
A contrario
des comédies classées musicales franco-françaises, exécutées sur scène, les scènes
s’insèrent au sein de la narration, participent de la psychologisation,
illustrent des characters, ne servent
pas à brasser l’air. Elles permettent au métrage à succès, à l’instar de son
OST, de se hisser un moment au-dessus de son croisement, bon enfant ou concon,
la perspective du spectateur-auditeur selon, de Happy Days et La
Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955), elles disposent les deux faces
pas si opposées d’une féminité tourmentée, portraiturent sans ratures deux
femmes fréquentables, fortes et fébriles, capables de contredire, contrecarrer,
osons dire contrechanter, les sirènes malsaines du « misogyne »
Homère. Ulysse en blouson black, à
brillantine enfantine, le personnage de John Travolta ne s’y trompera pas,
compère de Pygmalion assistant sidéré, « électrisé », à la
métamorphose de son sexy papillon, de sa fair
lady à lui, alors que Betty retrouve,
évidemment, délestée d’enfant, son Kenickie mécanicien, tout se termine bien,
hein. Ni cruel à la Carrie (Brian De Palma, 1976), ni révélateur à la Blue
Velvet (David Lynch, 1986), Grease déploie sa propre Americana, mythique, œcuménique, sucrée,
dansée, souvenir à venir d’éternel été recommencé.
Un petit clin d'oeil aux origines italiennes par le père de J. Travolta
RépondreSupprimerLucio Dalla et ses muses, drôle de Pygmalion - Attenti Al Lupo
https://www.youtube.com/watch?v=kFfhBX7ET-4&list=RDZ5gq_xZMGMo&index=21
https://www.youtube.com/watch?v=7JsAPHB3aVU
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