Chère Martha : Les Yeux plus gros que le ventre
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Sandra
Nettelbeck.
Débutons par l’addition : un
régal cordial, pour les fanas de Martina, dont moi, mais pas une seule seconde
de cinéma, dans cet insipide plat. Presque présente à chaque plan, du tout
premier, en plongée, au tout dernier, amusée, Martina Gedeck entraîne de
manière jamais suspecte, anime un téléfilm fadasse, co-production en partie
transalpine, ponctuée de clichés à la louche, culinaires et identitaires. Elle
incarne une cuisinière sur les nerfs, une control
freak, la bande-annonce dixit, à la maternité malaisée, pas de
liesse de la part de sa nièce, fissa orpheline (puis fugueuse). Enfin, pas tout
à fait, son géniteur-camionneur au grand cœur, guère au courant de sa
naissance, depuis longtemps séparé de la sœur décédée, prénommé Giuseppe, finit
par se manifester, par la ramener à sa maison aux touristiques airs toscans.
Auparavant, le « deuxième chef de la ville » doit partager sa
cuisine, l’espace, la production, avec un autre Italien, bien sûr badin,
évidemment mélomane, of course
spécialiste des pâtes, spaghetti + gnocchi, oh oui, accessoirement traducteur
de missive impulsive. Entre Frau Klein, qui essaie de garder son calme, et
l’amical Mario, interprété par le subtil (et doublé, dommage) Sergio Castelitto
(Il
grande cocomero, Francesca Archibugi, 1993), la sauce prend, prend du
temps, dure cent minutes, mon enfant, le climax de la romance sans sexe exposé se situant lors d’une scène
de dégustation à l’aveugle, bandeau noir un brin SM sur les yeux de l’aimable
Martha, faisant, littéralement, manger Mario dans sa main, hein. « Les
hommes », soupire la gamine difficile, impatiente, on comprend, on
compatit, et le film affiche des « figures masculines » certes
exemptes de la moindre misandrie, néanmoins à aucun moment consistantes,
excitantes, perturbantes.
La magistrale Martina Gedeck doit
donc évoluer vers le vide, déployer son talent au sein d’un univers
désincarnant, peuplé de silhouettes simplettes, mentions spéciales au psy
dépressif, cuistot amateur mis KO à cause du sucre incorrect, au voisin du
dessous, disponible divorcé désaccordé, au directeur d’école pas drôle, a priori sidéré par la nationalité du
papounet, surtout les absences à répétition de la gosse à moitié déscolarisée.
Si les féministes (US) s’offusquent d’un supposé « male gaze » censé
stéréotyper, appauvrir, rendre pire, la représentation au ciné de la multiple
féminité, Chère Martha propose en quelque sorte son inversé équivalent,
lui-même victime d’un effet boomerang.
À force de se focaliser sur la face fébrile et la force fragile du personnage
principal, tout le reste retombe bientôt, à la façon d’un soufflé réchauffé,
rassis, recuit. Scénariste issue de la TV, on le devinait, mise en abyme et en
caméo en sister occise, ressuscitée
en vidéo, la « réalisatrice » rate sa recette proprette, à base de
mélodrame doux-amer, de portrait de femme sombre et clair, de choc des cultures
et des postures. Récompensé en Espagne et au « Festival international de
films de femmes de Créteil » (sic),
Mostly Martha, titre explicite, programmatique, nous ressert une morale
rassurante, bien-pensante et aussi surgelée que la chansonnette guillerette de
Paolo Conte, ici en compagnie auteuriste des artistes du label ECM, Pärt, Jarrett, Reich et tutti quanti : en chaque mec
sommeille un minot, en chaque nana une survivante, voyez-vous ça. Contre les
clients emmerdants, la patronne pragmatique, la collaboratrice enceinte, source
de stress supplémentaire, ne parlons
pas de la refroidissante baby-sitter,
Martha s’absente et s’aère au frigidaire, héroïne délestée de mystère, privée
de passé, in extremis mariée, invitée
de banquet.
Résumé dès son trailer, mauvais signe, inquiétant succès ensuite remaké ailleurs,
à Hollywood, tu t’en doutes, voici donc un métrage minuscule, « feel good
movie » assez effroyable en raison de son ineptie. Demeure, heureusement,
Martina en Martha, c’est-à-dire une actrice remarquable et remarquée, déjà
saluée par mes soins énamourés, à l’occasion du Mur invisible (Julian
Roman Pölsler, 2012) ou Volupté singulière (Sven Taddicken,
2016), motif suffisant afin de se farcir ce rien, cette édifiante démonstration
de « female gaze » à la con, car passer une heure quarante à son côté compense (un peu) le mets
avarié, en (subjective) vérité, sinon circulez, nada à avaler.
Commentaires
Enregistrer un commentaire