Death Valley : Les Rois du désert
Peyotl ou portable, partir ou périr…
Aussitôt, l’Esprit poussa Jésus dans le désert,
où il passa quarante jours, tenté par Satan.
Marc 1, 12-13
Hier un homme est venu vers moi d’une démarche un peu
traînante
Il m’a dit t’as tenu combien de jours j’ai répondu
bientôt 30
J’ai compris qu’il espérait tenir jusqu’à 40
Jean-Patrick Capdevielle
Depuis des décennies, le désert
désespère et séduit les cinéastes. Death Valley (Ashley Avis, 2016)
s’inscrit donc dans un sillage précis, revisite une veine anxiogène, à la suite
d’illustres aînés nommés Gerry (Gus Van Sant, 2002), Twentynine
Palms (Bruno Dumont, 2003) ou Valley of Love (Guillaume Nicloux,
2015). Une fois la partouze et l’explosion de Zabriskie Point
(Michelangelo Antonioni, 1970) dépassées, fantasmées, que reste-il à faire, à
défaire, à refaire ; qui, en définitive, affronter, sinon soi-même, loin
de la société, au sein malsain d’une microsociété ? N’en déplaise au Wes
Craven de La colline a des yeux (1977), aucun cannibale en vue dans ce Deserted
méconnu, doté d’un titre explicite, programmatique, symbolique. Car ce survival de désolation, extérieure et
intérieure, se place sous le signe du réalisme, s’apprécie en tragédie de
modestie, où les dangers n’envoient jamais valser la vraisemblance, se
caractérisent par une absence de vicieuse violence. Notre groupe improvisé, de
mélomanes (dé)motorisés, se voit ainsi décimé par une overdose, un serpent à sonnette, une tempête de sable, un suicide à
la verticale, l’épuisement, tout simplement. Au final s’en sortent la sœur et
le frère, le chauffeur par ailleurs père, d’ailleurs parvenu, en vain, pour
rien, sur le lieu bien sûr désert du fameux et fumeux concert, « brûler la
Lune » ou cramer sous le soleil (exactement), alternative stellaire,
funéraire, projet vite évacué, camping-car vite immobilisé, transformé en
« tombe », remarque la « garce », pour une belle dormant du
grand sommeil, amen. Auparavant, Death
Valley
démarrait par une émancipation, une sortie de prison, deux individus bienvenus,
avant de devenir une œuvre chorale, de piège local, presque infernal.
La réalisatrice-scénariste-productrice
au parcours éclectique, passée par la TV, la publicité, sait se servir d’une
caméra, oui-da, bien escortée par l’assembleur Douglas Crise (Spring
Breakers,
Harmony Korine, 2012 + Birdman, Alejandro González Iñárritu,
2014) et l’évocateur directeur de la photographie Garrett O’Brien. Certes,
Mischa Barton, vrai-faux sosie de Chiara Mastroianni, dispose du meilleur rôle,
le sert de manière sincère, matricide mutique, pragmatique, mais la petite
troupe – Winter Ave Zoli, première trépassée précitée, co-produit aussi – ne
réserve nulle entourloupe au spectateur curieux, au contraire, tous esquissent
des silhouettes peu suspectes, attachantes de façon discrète. Ashley Avis ne se
fiche d’eux, ne les sacrifie au cynisme solitaire d’un slasher solaire. Elle parvient, à l’écart des crétins, à saisir
l’essence du désert US, son (mauvais) génie du lieu, et tant mieux. Récit
dégraissé, rythmé, d’absence et de silence, de tensions et de confessions, de
fraternité, d’homosexualité, de culpabilité, de solidarité, Death
Valley déploie un espace funeste, une sorte de cimetière du rêve US,
avec route de déroute et horizon de (dé)perdition, comme s’il relisait en
mineur la dérive en tandem de Easy
Rider (Dennis Hopper, 1969), en la délestant cependant de son nihilisme
satirique, de sa portée politique. Ici, on ne meurt pas en raison d’une
surplombante moralisation, on ne se livre pas davantage à un exercice auteuriste
de psychologie pesante. Munie de son envie de cinéma, de son indépendance par
rapport au fric et à l’effroi, Ashley Avis arrive à combiner béhaviorisme et
mélodrame, étude de caractère(s) et suspense
mortifère, lucidité et générosité. Entre allégorie atmosphérique et
sensorialité cinématographique, elle signe une épurée réussite, méritant ma
louange écrite.
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