La Meilleure Façon de marcher : Les Comédiens
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Claude
Miller.
Un film à propos
d’homosexualité ? Un film consacré à la masculinité. Un film sur le
harcèlement ? Un film de travestissement et de dévoilement. Miller,
cinéaste impressionniste, je l’imite à ma manière, après son portrait de
naguère, celui de Christine Pascal, chère suicidaire. Premier film et première
piscine, avant celles de Dites-lui que je l’aime + La
Classe de neige. Au sein de cet espace de féminité humidifiée, au moins
depuis La Féline, Philippe se fait foutre à l’eau par Marc, le salaud.
Aux toilettes correspondantes, ce dernier lui enfonce la face dans son propre
vomi, de quoi régaler une Melissa Lauren, ex-performeuse
French de l’extrême. La pornographie
de la décennie 70 irrigue en mineur La Meilleure Façon de marcher,
film de son temps situé seize ans plus tôt, en été. Les mistons, un salut à
Truffaut, dissimulent un avatar vintage
de Playboy
dans un exemplaire du Journal de Mickey ; Michel
Blanc, assez hilarant, surtout en hystérique à terre, lit Merleau-Ponty, collectionne
les photos cochonnes en noir et blanc, leur doit son licenciement ; Marc,
en train d’ôter son slip, d’enfiler
son pantalon de pyjama – mettre ou se
faire mettre, interrogeait Gainsbourg –, parle en mode trivial de cul, de pipe,
de poils, de ce qui se passe entre un homme et une femme au plumard. Philippe,
accoudé au mur, ne répond rien, et son silence révulse l’auteur des proférées offenses.
Auparavant, durant une nuit de pluie, de plombs sautés, de Fraises sauvages à la TV,
mise en abyme programmatique à proximité du malhabile, le moniteur militaire s’arrête sidéré
devant son partenaire grimé en Carmen. Le torero, caricature d’inculte hétéro,
succombera-t-il au charme f(l)ou du fils lettré du directeur de la colo, lutte
des mâles doublée donc d’une lutte des classes (catégorie ou pédagogie) ?
Tout se dénoue lors d’un bal costumé
à la Beaumarchais (relisez Le Mariage de Figaro, virtuose
vertige des réversibles identités sociales et sexuelles). Un liminaire long
métrage qui présage les autres à venir : la relation conflictuelle de Garde
à vue, l’humour noir de Mortelle randonnée, les premières
fois féminines de L’Effrontée/La Petite Voleuse/L’Accompagnatrice,
l’espace intimiste de La Chambre des magiciennes, l’omission
originelle de Un secret, l’apaisement à Paris de Thérèse Desqueyroux itou.
Le temps d’un travelling sur un
enfant insomniaque, en larmes, son propre fils Nathan, lunettes héritées, éborgné
par le ballon du sportif directif, Miller rejoint la mélancolie masculine d’Emmanuel
Carrère. Famille de cinéma et de sentiments, Annie Miller au montage, ou
collaborations improbables, la demyesque Mag Bodard épaulée à la production par
Jean-François Davy, émouvant Exhibition, et Hubert Niogret,
critique ravi par Duvivier, spécialiste de l’Asie ou biographe d’Erland
Josephson, retour à Bergman. Bruno Nuytten éclaire comme en rêve une rencontre épistolaire
au restaurant, une scène de sexe dépressive dans un cadre cependant édénique
(ta mère, si absente). Christine, l’une des reines de ma cinéphilie
républicaine, caresse les cheveux de Phil d’un geste maternel, lui demande
plusieurs fois comment il va, se désole, pas apeurée, par lettre interposée,
que l’amour, finalement, se situe aussi bas, sous la ceinture, sous sa culotte
immaculée, gare à ne pas s’adresser aux enculés, selon la blague sinistre du
comique de service éructant son yaourt spermatique. Et Claude Piéplu, émancipé
des Shadocks qui pompaient pour l’éternité, campe avec délectation, la sienne,
la mienne, un supérieur entiché de boîte à idées démago devenue illico poubelle de poulbots.
Déjà Miller effleure les fêlures de
ses personnages guère manichéens, dessinés à quatre mains avec Luc Béraud, les
filme à distance, avec pudeur, y compris lors de leurs corps à corps empreints
de tristesse ou de dangerosité. Le Sourire, maladroit, essaiera de
donner à voir, à vivre, une sexualité ludique, antithétique. Pour l’heure,
baiser n’apporte aucun bonheur, en ces années pourtant supposées de libération
sexuelle et d’orgasme cinématographique. La compagnie Filmoblic propose en
effet un film oblique, en dépit de la frontal
nudity de l’indétrônable Dewaere,
pour quelque chose de plus carré, camarade queer,
je te renvoie vers Le Droit du plus fort, admirable et simultané mélodrame SM
voire marxiste de Fassbinder, tout sauf communautaire. Le jeu du chat et du rat
subi puis in fine mené par l’impeccable Patrick Bouchitey trouve son acmé lors
d’une corrida dansée en guise de fête des adieux, adieu à la paranoïa, à la
tension, aux humiliations, à l’adulescence anachronique. La désignée victime,
incendiaire Arlésienne d’Auvergne sous le regard de sa Chantal moustachue,
plante un couteau presque de giallo, molto phallique, dans la cuisse du
tourmenteur médusé, moment à la fois d’accablement et d’amusement, déterminant
dans la participation du comédien dès la lecture du scénario. Démaquillage
redoublé, reprise de la scène primitive la nuit entre mecs transis, sang
substitué au rouge à lèvres. Dans la tragi-comédie de la vie, chacun joue un
rôle, même les mômes médiévaux, prompts à se mettre minable, chacun prend (sa)
place dans le spectacle sociétal, chacun porte un masque à arracher, à admirer.
« Tu es vrai ! » crie Philippe à Marc, dont la modestie lucide
lui fait avouer qu’on l’écoute uniquement à cause de sa grande gueule. Ce
théâtre de la cruauté n’appartient plus à Artaud, nul ne saurait apercevoir Le
Carrosse d’or de Renoir.
Il revient de plein droit à Miller,
réalisateur professionnel, ici en partie métaphorisé par le metteur en scène
amateur, artiste urbain et sain d’esprit attiré, en tout cas sur grand écran,
par l’insanité, l’implosion scandaleuse de tous les vernis. La
Petite Lili, sis en autarcie réflexive, pâtira de la vanité-vacuité des
gens dénommés de cinéma, poursuite trop tchékhovienne de la veine méta. D’une
comptine à la suivante, d’une rengaine à la prochaine, manière de marcher droit
ou énumération des paroles et des rendez-vous manqués du Petit Prince a dit. Focalisation
sur la fascination, sur la projection, sens duel, déterminée par la psyché, les
origines : Marc, au fond plus fragile, moins fortuné que son ennemi
rapproché menaçant de se supprimer, de le dénoncer d’abord, ne peut envisager
Philippe que suivant sa perspective, son passé invisible, son attirance
affolante, davantage existentielle que sexuelle, à l’instar du populaire
inspecteur Gallien hypnotisé-écœuré par le notable Martinaud, « coupable
de culpabilité » comme le professeur incarné par Victor Sjöström chez son suédois
compatriote. Film d’images, celles des hommes entre eux, celles du ciné
intériorisé, centré sur un mirage, une apparition au bord du tabou, de la mort,
cf. Romy Schneider au même endroit, apprivoisée ensuite de façon festive et
vengeresse, l’ouvrage au cordeau, au bon tempo, dans sa brièveté de
quatre-vingt-deux minutes restaurées, rime par avance avec L’Effrontée, similaire variation
autour d’une épiphanie, cette fois-ci entre jeunes filles aux pedigrees différenciés idem. Des bougies prêtées, à défaut de
servir en sex toys rectaux,
illuminent le petit blondinet du Splendid réinventé en saint ensommeillé,
malmené, par un film à l’évidence de chambre, discret, à coucher.
Pas tant débutant, le trentenaire Miller ne
craint pas les fondus au noir d’antan, déshonorés par la modernité, les
saynètes suspectes, les forêts profondes où s’affronter à la course, à la
bouche, à la prise de tête littérale entre types bancals, tandem de gêne. Chantal, femme dominicale, ne s’offusque pas de la
bérézina de sa défloration, du dépucelage-naufrage de Philippe, col blanc épris
de l’adverbe « absolument », piètre étalon mutique pour accouplement
pathétique et dimanche pas très gai, dixit
l’intéressée, au creux d’une œuvre pas spécialement gay non plus, friendly or not.
Elle ramène à sa mesure médiocre et misérable, double acception, celui qu’elle
désigne, à sa descente de train, du grade ironique d’adjudant. L’épilogue se positionne
« quelques années plus tard… », points de suspension pas au hasard. Marc
fait au couple radieux l’article d’un appart spacieux. Philippe, au pull-over rouge, une pensée pour Gilles
Perrault, passé autour du cou, lui rend son sourire sincère d’agent immobilier
radouci, surpris de retrouver sa vieille connaissance jugée inchangée, sa
moitié complimentée. Retour à la normale, à la normalité, dans le meilleur des
mondes économique, hétérosexuel, on tire un trait sur le passé, on oublie tout
ce qui se passa, aucune séquelle à la guibolle, ordre bourgeois rétabli en coda
sympa, toi à ta place de mari obligé de bosser, sacoche à la main, moi pas
encore épousé, toujours friqué ? Presque, pas exactement. Les deux hommes
rivalisent in extremis de politesse à
la porte, devant une pancarte sexuée, Mademoiselle marqué, multiplié. Leur
après vous tutoyé, figé par un arrêt sur image, dispense un malaise ludique,
une indécision de happy ending trop
idyllique pour être indubitablement crédible (passer en premier se connoterait
aussi de sodomie).
Garde à vue s’achevait via un retournement de situation sarcastique, tragique, La
Meilleure Façon de marcher se termine par un renversement clément et un
brin déprimant, main magnanime du résilient sur l’épaule du désargenté
serviable, prêt à sucrer la commission en vue de l’acquisition. La
Classe de neige et Un secret viendront au contraire
affirmer la pérennité des traumatismes et la persistance du mensonge. En 1976,
Claude Miller accordait une chance à son remarquable triangle de
vaudeville doucement violent ; il récidivera en 1988 avec la conclusion
ouverte, volontariste, de La Petite Voleuse juvénile.
Qu'est ce qu'homme ? ainsi peut-être qu'un penchant homosexuel se cacherait au fond de chaque placard masculin, peut-être, car l'homo est vu ici tel un travesti, mais quid de l'homme, l'homme tout nu qui fascinait tant la quête d'un Simenon l'homme aux dix mille femmes... l'agressivité envers les homos, transgenres relèverait peut-être parfois de quelque chose en soi de non dévoilé,
RépondreSupprimerharcèlement, violence, olé les deux Patrick en miroir renversant, bouleversante Christine Pascal aérienne et gracieuse au milieu de tant de grands enfants...
Mais la masculine homosexualité, même assumée, au ciné, en société, loin d'être totalement apaisée, Fassbinder ne dira le contraire...
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