La Légende des sept vampires d’or : Il était une fois en Chine


Quand un vampire plagie Shakespeare, mieux vaut se carapater près de Pékin, putain.


La mondialisation préexiste à son nom et la fusion des « genres » surprend seulement les taxinomistes. La cape du comte à canines épouse les épées des artistes martiaux locaux, le wu xia pian chinois accueille le gothique britannique : so what ? Nous voici revenus en 1974 et le film de la Hammer, de la Shaw Brothers, témoigne autant du cinéma d’alors que de la société du passé. Dans le sillage lucratif du davantage individualiste Opération Dragon – Bruce Lee s’y mire et s’y démultiplie en coda, narcissique sur le point de décéder –, La Légende des sept vampires d’or atteste du succès occidental de la cinématographie d’Asie et adresse des clins d’œil contrastés au féminisme de la décennie. La vie imite l’art, pas l’inverse, nul ne l’ignore depuis Oscar Wilde, aussi la décision du déclinant studio insulaire de s’expatrier loin de la Tamise miroite l’exil intéressé de l’aristocrate de l’histoire, épuisé de régner sur un misérable désert carcéral. Dracula & Michael Carreras quêtent du sang neuf, littéralement, désirent agrandir leur terrain de chasse, internationaliser leur malédiction. Si l’Irlandais Stoker s’amusait à tourmenter la bonne société anglaise, à lui faire découvrir des plaisirs inconnus, pas ceux de Joy Division, presque, corrigeant ainsi le soupçon de xénophobie attribué à son chef-d’œuvre romanesque et multimédia avant la lettre, Roy Ward Baker & Chang Cheh démontrent avec modestie que le cinéma, parfois, permet de travailler, de vivre ensemble, l’aventure du tournage à lire en reflet réalisé de la rencontre des cultures du scénario. Pour un amateur, tel votre serviteur, de films anglais et asiatiques, La Légende des sept vampires d’or constitue un cas d’école, un hybride assez fascinant.



Au cœur reculé d’une Transylvanie ensoleillée, relookée à Hong Kong, un seigneur quelconque vient quémander l’aide du célèbre comte, presto redressé à la verticale, en mode Murnau, dans son caveau marbré. Au pays, mon ami, une révolte à réjouir Mao musèle son pouvoir et la populace, scandale, défie l’emprise des vampires dorés. Le script relit le filigrane social du roman puis des films et la lutte des classes se déplace à l’Est. Fi du communisme, unissons-nous pour le retour du taoïsme cosmopolite, my dear. L’alliance improbable tourne au marché de dupes, car le prince des ténèbres, éclairé par un émule de Mario Bava, vole le corps du voyageur et désarme son âme – fin du prologue. Un siècle plus tard, en 1904 et en Chine, Van Helsing s’exprime à l’université de Chongqing, Sichuan, éphémère capitale durant les années 30/40 du Kuomintang. Les étudiants anglophones, refroidis par ses fadaises folkloriques à propos de fermier trucidé, égorgé, handicapé, héroïque, isolé de sa communauté à la Gary Cooper dans Le Train sifflera trois fois, tant pis pour Bouddha, quittent fissa l’amphithéâtre, le laissent à sa solitude d’outsider, je le cite, d’anachronisme superstitieux à vite balayer, par exemple via une révolution dite culturelle, amen. Seul le petit-fils du guerrier d’hier le croit, et pour cause, il possède encore le médaillon-relique en forme de chauve-souris à ravir Bruce Wayne. Leur expédition au village, vengeresse, politique et poétique – franchir les frontières, vérifier la véracité des insanités – se voit aussitôt financée par une riche veuve européenne sauvée de la convoitise sexuelle des « indigènes » illégalement fortunés, invités à la party victorienne d’un officiel conflit dans la diplomatie. L’équipe compte en outre les six frères de Hsi Ching, experts en arme blanche, et sa sœur Mai Kwei, elle-même douce « tigresse ».



S’ensuivent une chevauchée funeste et une marche fatigante sur la montagne climatique et western de Run Run Shaw, anobli en 1977, + un pillage de village, poitrine féminine apparente incluse, soutien-gorge probablement cramé par le MLF acclimaté, prélude d’un combat dans une cave avec une armée de macchabées ressuscités, sautillants, comme empruntés, ralenti compris, aux Templiers d’outre-tombe immortalisés au même instant par la trilogie languissante d’Amando de Ossorio, conduite par trois volatiles (remember les joujoux en caoutchouc du Baiser du vampire) transformés au montage en sorciers masqués. Le petit commando multiculturel redécore illico les lieux en Fort Alamo, matez-moi ces pieux géants et ces tranchées à enflammer. Lors de l’assaut se situent le crescendo de l’opus et son summum symbolique, je m’explique. Vanessa Buren, mécène amoureuse mordue au cou, se fait empaler par son guide, qui, à son tour contaminé d’un baiser enragé, décide aussi sec de la rejoindre dans la mort en se transperçant sans tarder. Cette acmé de romantisme homoérotique, voire misogyne, on la doit assurément à Chang Cheh, pareillement les membres amputés, les ponctuelles éjaculations de sang, certes moins équivoques, baroques, mélodramatiques, magnifiques, que celle de La Rage du tigre, déjà porté pour l’éternité par David Chiang, tandis que Roy Ward Baker paraissait plutôt épris de saphisme, cf. The Vampire Lovers avec la priapique Ingrid Pitt. Au temple forcément maudit, Mai Kwei manque de servir d’abreuvoir, de vierge saignée sur l’une des sept tables aux rigoles écarlates aboutissant à un orifice férocement rectal placé au centre (je décris, je joue au psy). Leyland, le rejeton du professeur point omniscient, la délivre mais doit son salut à son papa, à l’empalement, bis, phallisme itératif, de l’assaillant assoiffé, incinéré en surimpressions tel Christopher Lee naguère, démissionnaire volontaire.



Van Helsing, rendu à son esseulement, le reste des combattants, de la fratrie, enfui, démasque Dracula in extremis, l’empale, ter, sur une lance souillée de son sang rémanent. Dans La Légende des sept vampires d’or, Peter Cushing, effrayant de maigreur, admirable de détermination, émouvant d’élégance, rempile une ultime fois et entretient avec David Chiang un vrai rapport filial, plus sincère et attendrissant que celui le liant diégétiquement au transparent Robin Stewart. Face à lui, le méconnu John Forbes-Robertson se fait dérober sa voix par le professionnel David de Keyser, collaborateur vocal de Boorman et rabbin de Yentl. Dans La Légende des sept vampires d’or, la sculpturale Julie Ege, quelque part entre Kim Novak et Kim Cattrall (surtout recrutée par Carpenter pour Big Trouble in Little China) et sacrée Miss avec justice en Norvège, recyclée au civil en infirmière, hélas succombée à un cancer du sein à la soixantaine, incarne une femme indépendante, souriante, au débardeur conséquent, au geste maternel attachant, couverture disposée sur l’impossible amant endormi. Face à elle, différente, pas opposée, l’agile et jolie Taïwanaise Shih Szu, un peu vite vendue en substitut à l’irremplaçable Cheng Pei-pei (Chang Cheh dirigea d’ailleurs la suite du remarquable L’Hirondelle d’or signé King Hu), compose une image de la féminité plus traditionnelle, ni victime soumise ni amazone de bazar. « Romance flourishes in the strangest places », yes indeed, et le film du tandem montre également cela, ces amours transnationales, ces beaux alliages de couleurs de peau, que les Américains spécialistes de blue movie désignent du vilain mot interracial. L’incontournable Liu Chia-liang chorégraphie les conflits et Don Houghton écrit-produit. James Bernard, toujours énergique, s’autorise discrètement à l’orientalisme ou souligne un autel christique de notes bibliques.



En définitive, il s’agissait de redécouvrir en VO une VHS française d’adolescence, de célébrer après un visionnage en ligne, de qualité médiocre, un métrage aimable à sa juste mesure, tout sauf imposture, rature, sommet de stupidité mercantile, au contraire prototype sympathique et en partie prophétique – après l’Australie, la Warner délocalise en Chine – de notre modernité commerciale, économique, esthétique. Les fantômes chinois, aux histoires fameuses et radieuses pendant les années 80, se marient par conséquent naturellement avec l’imaginaire littéraire, avec les mythes à demeure. Au-delà des collusions de saison, des clivages à la con, de l’humanisme à vomir, des discours de désamour, La Légende des sept vampires d’or pratique l’entente, concrétise les accords, les correspondances, les échanges, se fiche de ses propres faiblesses et s’avère un recommandable divertissement adulte, une œuvre collective et singulière, double sens, en forme d’utopie macabre, mélancolique, où la victoire, évidemment provisoire, sur le Mal ancestral se paye du viol en série, de la vie, de la famille. Il ne pouvait sans doute être tourné que dans une ville portuaire, parmi une industrie tournée vers l’étranger, comprendre le territoire et l’individu, qui sut tellement nous séduire, qui persiste aujourd’hui à nous dire selon cet item daté deux ou trois choses intéressantes sur (je généralise exprès, je relie au récit) les hommes (maniaques, malheureux), les femmes (fréquentables, fugaces), les démons, les nations, les occasions, si rares, à saisir, de construire, dialoguer, délirer, frissonner à l’unisson. Les Dracula, on ne les dénombre pas, mais La Légende des sept vampires dorés, à défaut d’être en or véritable, se hisse facilement au-dessus du plaqué, continue à briller d’un étrange éclat obscur, oublié, film amical, familier, film à sa façon orphelin.

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