Cassandra : Australia


Ou comment devenir une jeune femme fatale – Électre électrise, Cassie séduit. 


Les films s’harmonisent : après The Premonition, revoilà Avoriaz en VO, un petit budget, une mère morte, de l’inédit en ligne, de la parapsychologie subtile. Mais Cassandra, cogité une dizaine d’année plus tard, se déroule en Australie et cela change tout, car le baigne un climat de dream time propre au pays-continent, infusion de la culture aborigène dans l’expressivité de cinéastes blancs, par exemple Russel Mulcahy ou Peter Weir. Si le cinéma des antipodes vous intéresse, le nom de Colin Eggleston vous « parle », vous connaissez de près ou de loin son Long Weekend (1978), survival écolo écrit par le regretté Everett De Roche (votre serviteur visionna en DVD son remake imparfait commis en 2008 par Jamie Blanks avec James Caviezel, le Jésus de Gibson). Avant de mettre un terme mystérieux à sa carrière de réalisateur/scénariste/producteur en 1987 avec une histoire de vampires sise chez Crocodile Dundee, il délivre une relecture assez inspirée de l’Orestie délocalisée du côté de Sydney. Cassandra commence comme un mauvais rêve de Wes Craven, débute par un tableau d’Andrew Wyeth (le célèbre Christina’s World, cité par Paperhouse ou Oblivion) animé, remonté par un(e) émule de Nicolas Roeg (en réalité, l’éphémère monteuse Josephine Cook), prologue virtuose comportant les principaux éléments formels et narratifs du récit à venir, à jamais déterminé par le passé. Au suicide initial de la génitrice poussée à bout (de fusil) par son fiston modélisé sur le démoniaque Damien, sa tête auréolé de flammes infernales du meilleur effet, sa voix rauque de commandement malaisant, répondra en coda le trépas volontaire, incendiaire, de son avatar adulte, assassin obsédé par sa lignée incestueuse et relié à sa sœur jumelle, prophétesse de tristesse, la bien prénommée Cassandre, donc, par une simultanéité psychique en écho à celle de Faye Dunaway & Tommy Lee Jones dans Les Yeux de Laura Mars, elle-même aussi photographe de mode, de « porno chic », que le père-frère humilié par ses salaces commanditaires.



Carpenter en double partage, puisque l’auteur du vrai-faux biopic d’un Helmut Newton au féminin signa une similaire histoire familiale avec La Nuit des masques et sa mémorable ouverture subjective (d’ailleurs, mutatis mutandis, en partie reprise du Dr. Jekyll and Mr. Hyde de Rouben Mamoulian). Changement d’époque et de technologie oblige, la Panaglide fait place au steadicam et l’opérateur David Woodward fait des merveilles, rappelle en plus sérieux, en moins frénétique, le travail de Jim Munro sur le contemporain Street Trash. Pour en finir (ou non) avec les références, les influences, les correspondances, Cassandra, outre rimer avec l’atmosphère rurale et létale de L’Enfant miroir, avec l’onirisme maudit de Pandora, Napier-Railton remplacée par une Jaguar, réussit où le Cronenberg « wagnérisé » de Maps to the Stars échoue. À la satire rassie, risiblement sentimentale in extremis, se substitue une sorte de cauchemar en plein jour, une œuvre envoûtante et polymorphe (forcément perverse affirme Freud) héritière du giallo, gros couteau immaculé compris, du slasher, hachoir à la Shining de saison, du whodunit, Sophocle en papa apocryphe du polar. Fable sur les apparences (nouvel assistant recherché pour viol, barman trop fraternel, policier impuissant harcelé au téléphone professionnel par sa maman), les réminiscences, les espérances (déçues dans le sang), le métrage sage et sauvage, distribué directement en vidéo, réduit à tort à un pur produit de « l’Ozploitation » (étiquette à la con, méprisante et par conséquent méprisable), tombé aux oubliettes trentenaires, ne démérite pas et mérite un article modérément laudateur. Colin construit sa coucherie en autarcie autour de motifs cosmiques, parvient à faire souffler sur le funeste secret de famille (au carré, Stephen vivant désormais avec sa seconde sœur, malgré la chambre séparée) la respiration des éléments.




Film d’eau (la flaque, l’océan, la piscine) et de feu (la cheminée, l’immolé, le brasier), de chaleur (l’introduction solaire) et de froideur (draps glacés du cadavre nu à la gorge tranchée), Cassandra bénéficie de l’apport primordial du directeur de la photographie Gary Wapshott, d’un casting ad hoc – mentions spéciales à Tessa Humphries & Briony Behets, charmantes, troublantes, survivantes – et d’une cohérence graphique-thématique proprement poétique. Deux exemples l’illustrent, je pense à la photographie de Jill cachée (par une Helen repentante ?) dans le double fond d’un tiroir, amorce du drame autant que squelette dans le placard (et fantôme mental) ; je pense au miroir servant à la mère truquée (un salut à Philip K. Dick) à s’échapper de son atelier, ensuite réutilisé dans l’épilogue de victoire à la Pyrrhus, Cassandra, lèvres de Mona Lisa, hantée au creux de sa tranquillité retrouvée, dépeuplée, par le spectre reflété de son frangin malsain doué d’ubiquité (dans l’ultime plan, il s’avance immobile vers elle puis la glace se casse, accompagnée par son « Cass ! », belle démonstration d’unisson sonore, accessoirement francophone). On ne se sépare pas vraiment de ses parents, consanguins ou point, on ne saurait quitter la vieille maison d’enfance sur la colline, lieu de terreur, de rancœur, on patauge, à son échelle, dans le matricide, l’infanticide (Libby, mannequin humidifié en studio contre des nuages d’orage en noir et blanc, femme enceinte égorgée chez elle à la Sharon Tate, pendant un POV couplé à un surprenant déplacement de la menace à main armée, aussitôt à son chevet, confusion de l’espace en accord avec la perte de repères temporels liminaire), le parricide, le fratricide. Cette moralité amère, cette vision désespérée d’existences à la liberté limitée, surveillée, épiée – périr ou souffrir –, ce sens du fatum mélancolique, Cassandra les déploie à son rythme, durant sa durée équilibrée, ses temporalités habilement entremêlées.





Scandé en tandem par un œil en gros plan de collure-césure, organe méta au cinéma, manière de condamner l’héroïne (et nous avec) à y voir plus clair, à séparer le souvenir du présage (retour à The Premoniton, so) à pratiquer une herméneutique in vivo afin de sauver sa peau, de se réveiller pour de vrai (elle sommeille dans un fauteuil de phare molto phallique, hébergée par son soupirant désarmant, inquiétant) et par la comptine enfantine-zoophile Who Killed Cock Robin, tandis que la BO (de Trevor Lucas & Ian Mason) assène des notes massives, répétitives, ou laisse entendre une insidieuse sirène insistante, a contrario du mélodique main title, Cassandra ne s’apparente certes pas à une comédie et cependant s’autorise d’ironiques répliques – « I like him like a brother », « I feel like I have known you all my life » – à l’humour noir assuré. Avant les dernières secondes au foyer habité par un hôte familier, par une image de cinéma qui ne meurt pas – définissons le traumatisme tel un événement filmique, une séquence morte et enterrée n’en finissant pas de ressusciter, de contaminer l’instant présent – surgit un incendie à la Tarkovski (synchronisme du Sacrifice), déclenché par la Charlie de Stephen King (transposée à l’écran guère incandescent en Firestarter selon Mark Lester) acclimatée à Canberra. Cassandra, sans brûler tout à fait, abrite un singulier espace-temps personnel et fusionnel, dépose sous la paupière altière et sur le palais blasé de l’amateur « d’horreur » un goût de cendres enfin pourvu de saveur. Si The Premonition pouvait parfois évoquer un Massacre à la tronçonneuse radouci, débarrassé de sa frénésie, Cassandra procède en douceur, à l’intérieur d’intérieurs témoins de l’eugénisme minimaliste d’alors (la beach house) ou de verreries Art nouveau (le home peu amène). Refusant les farces et attrapes du gore (décollation obscure, pendaison express) et la stylisation à outrance dépassée dès qu’aperçue, l’opus de Colin Eggleston préfère aux cris les chuchotements, cède les secousses en privilégiant l’entêtant. À vous, dorénavant, de tâter son tabou tentant…

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