At the Mercy of the Darkness: Ayano’s Bizarre Delusions : La Main du cauchemar


Source enivrante et désarmante des femmes, des larmes, des images miroitées.


Le manga en chair et en os, littéralement, à fleur de peau d’Ayano en solo, s’ouvre sur une mousseuse masturbation à la Pulsions. Madame Mizoguchi, insomniaque onaniste, se lève la nuit pour se faire du bien dans sa salle de bains. De l’autre côté de la porte vitrée entrouverte, à l’opacité pudique (ou priapique), un spectre emprunté à Ring se manifeste soudain, amputé de sa mimine sinistre, au sens propre et figuré (pas vraiment Paul Newman, votre serviteur s’avoue lui-même gaucher). Voilà donc un métrage de main(s), membre plaisant et inquiétant, source d’agrément et d’humiliation. Mariée à son ancien professeur déclassé, qui la traite en bouche à bite (permettez-moi cette crudité de sushi ou souci), en bonniche à la niche, qui mate sous son nez (ou une autre partie de son anatomie) de la branlette mal éclairée en ligne (uniquement du « deuxième sexe », remarquez-le), la téléprospectrice en périodiques anglophones onéreux, souvent en déplacement dans son tailleur blanc, escarpins assortis, oh oui, s’amourache vite de son confrère de boulot, le beau Saijo, VRP spécialisé dans le porte-à-porte et le cinq à sept hôtelier, à volonté, jusqu’à l’épuisement spermatique en sueur, en chœur, mon cœur, tant pis pour les unions désunies. « L’amour ressuscite une femme » et l’adultère constitue le secret d’un mariage heureux, nous renseignent deux aphorismes zen. Pendant ce temps, un peu avant, un type repeint ses toilettes du sang de sa moitié découpée qui le trompait (pense-t-il, peut-être à raison), hilare se grille une clope devant sa carcasse surréaliste, dépose ses restes dûment emballés à proximité d’un jardin de marmots, illico ramassés par des éboueurs aussi blasés que ceux de la coda désespérée, désespérante, du Rage vaginal-vampirique de David Cronenberg.

Insatiable à l’instar de Marilyn Chambers, notre héroïne candide et douce expérimente autant l’extase qu’elle se ronge de jalousie, double épiphanie redoutable lui faisant imaginer de douloureuses étreintes, incluant même sa collègue à tresses de standard surnommée d’un Itako sorcier. Dans At the Mercy of the Darkness: Ayano’s Bizarre Delusions, les personnages mangent et se mangent – « Mon vagin se rappelait à moi comme un estomac qui a faim » se souvient la narratrice d’outre-tombe sur un banc de jardin public –, boivent ou pas (hygiénisme nippon de vider dans l’égout une bouteille en plastique déjà tétée), en viennent à se dévorer ou se défenestrer, sort funeste et duel réservé aux deux époux, le pro du cunnilingus au « trésor » vite empoché, pour ainsi dire défloré, ou le Kenji Mizoguchi du récit, à faire se retourner dans sa tombe le réalisateur défenseur des « femmes galantes », c’est-à-dire des prostituées exploitées, Les Contes de la lune vague après la pluie à situer en matrice auteuriste, surnaturelle et lyrique, de la lignée renouvelée par Hideo Nakata. « Une fois par semaine devint trois fois par jour », le rythme de la trahison de saison s’accélère et l’ouvrage l’imite dans la brièveté de ses soixante-huit minutes équilibrées, presto écoulées. Finalement, la jeune femme finit par s’étrangler elle-même (ou par succomber à sa némésis à l’œil réellement noir) et devient un fantôme parmi d’autres, tant la jouissance rime avec l’évanescence, tant la possession des corps, le sien, celui d’autrui, s’apparente à une dépossession point saphique, très fatale, par un succube en colère.

Quadragénaire pas pervers et stakhanoviste méconnu en nos contrées, Naoyuki Tomomatsu filme tout ceci avec la complicité de la dessinatrice Shungiku Uchida (caméo de cliente + rôles chez Tsukamoto ou Miike), peu de moyens et une bonne dose (de débrouillardise) d’élégance évocatrice ou frustrante suivant le voyeurisme du spectateur (de la spectatrice), usant d’un réalisme sonore de cartoon lorsque Ayano s’humidifie ou se fait pénétrer, se conformant au cadre rigoureux des plans et de la censure (pas de pilosité, pas de génitalité au pays de L’Empire des sens), s’accordant durant les ébats dépourvus de bondage du POV de contre-plongée, divinisation de chevauchées haletées. Si la fellation suscite des larmes physiques, ce film fétichiste, assez sympathique dans sa simplicité, sa modestie, s’auréole d’une tristesse le hissant délicatement, discrètement, au-dessus d’une simple, régressive et racoleuse histoire de fesses (merci de ne pas nous imposer les traditionnels uniformes de lycéennes). Il repose surtout sur une irrésistible Kotono, actrice tout en courbes capable d’exprimer toute sa sexualité troublée (pléonasme) sans jamais sombrer dans la trivialité ni le ridicule (même en compagnie d’une main mobile amputée, chipée à La Famille Addams ou à Michael Caine opéré par Oliver Stone). Rien que pour elle, pour la claire lumière de son regard, la silencieuse noblesse de son désespoir, on ne regrette pas ce détour par « l’exploitation à la japonaise », étiquette suspecte d’une imagerie de série où surnage parfois, au hasard du streaming mondialisé, sous-titré, un soupçon de beauté, de dureté, d’humour noir, de sens du trop tard, de désir, d’emprise, de folie et de mélancolie.


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