Mon autopsie : Mémoires d’outre-tombe


Je suis mort, et alors ? Voici mes souvenirs depuis mon improbable (et inéluctable) avenir…


Jean-Louis Fournier poursuit sa bibliographie de courts récits, s’imagine dorénavant mort-vivant. Mon autopsie s’inscrit ainsi dans le sillon autobiographique, laconique, de Où on va, papa ?, Veuf, La Servante du Seigneur, Ma mère du Nord et en diffère cependant. Plus d’enfants (handicapés), plus d’épouse (décédée), plus de fille (reniée), plus de mère (réfrigérée), rien qu’un cadavre sur une table médicale et sous l’éclairage a priori impitoyable du scialytique, car don scientifique. Ici, les mots équivalent à des « pierres sèches », les phrases volontiers dépourvues d’adverbes frisent l’aphorisme, l’imagination, plaie salutaire, permet d’envisager un au-delà presque profane (l’auteur croit en Dieu, à l’instar de Pascal parieur, il ne croit pas une seconde aux religions suspectes). Dans son évocation de (morte) saison, l’ancien compagnon d’un certain Pierre Desproges (l’humoriste étonnant, minuté, décida de rire et de faire rire de son cancer, bien avant l’assourdi Le Bruit des glaçons de Bertrand Blier) s’invente une compagne complice, une chirurgienne sereine, amoureuse (pas de lui, tant pis), joliment et logiquement nommée Égoïne. La gracieuse manieuse de scies et de bistouris, itou dessinatrice impassible, autorise le défunt en train d’être défait, radicalement dénudé, désossé, dévoilé, à se mettre une nouvelle fois à nu, avec ce ton moqueur en douceur et cette prégnante pudeur qui le caractérisent. Épris de peinture, l’octogénaire (l’an prochain) peint un vrai-faux autoportrait littéralement à vif, comme une toile (scripturale) de Rembrandt anatomique, drolatique et mélancolique. Passionné de musique dite classique, il compose un requiem fragmentaire, exempt de pesanteur, de pompe. Une fois le corps immobile, inanimé, sans vie, la vie d’hier continue à hanter les parages de la prospective et les pages emplies d’esprit, de sagacité, de brièveté. Dans Boulevard du crépuscule, un spectre de polar nous narrait son histoire au miroir des fantômes de l’écran, en noir et blanc. Noir sur blanc, lettres sveltes, mots de maux, Fournier respire encore, se remémore (ses amourettes, ses amitiés, ses échecs, ses succès, publics ou privés, ses livres et ses films), voix présente même abolie parmi la blancheur du papier à la Poe (cf. le final des Aventures d’Arthur Gordon Pym).


L’articulation des sentiments et des ligaments séduit, confère à la légèreté de touche et de tracé un poids concret, organique. On y croise Liz Taylor & Georges Wolinski, on y côtoie Molière & Abel Gance, on y cite Gide, Cocteau, Cioran, Picabia, Wilde, Frédéric II, on y paraphrase le désolé (et papiste) Philippe de Villiers, on y préfère Prévert à Mallarmé (pardonnons), on y élit l’Histoire du cinéma de Bardèche/Brasillach en ouvrage de chevet (au côté du Guide Michelin). Jean-Louis assiste (en salle de projection professionnelle) aux débuts essoufflés de Jean-Luc (Godard), s’éjecte de l’HIDEC, transite par la TV (documentaires culturels dont l’un, primé, sur Egon Schiele), après un passage par l’apprentissage (en tant qu’enseignant divergent scandalisant son inspecteur). Il apprécie Jean-Christophe Averty, il approche deux ou trois sommités (Lévi-Strauss, Malraux), des chanteuses de variétés (Dalida, Sheila). Le romantisme morbide, la beauté contagieuse, la jeunesse inculte, le désir de singularité, la liberté de l’écriture, les belles brocantes, les jalousies de la médiatisation, le sexe désormais assimilé à un vieil oiseau (par un ancien enfant tourmenteur de mouches et chasseur de sansonnets, au foie dégusté par un chaton anthracite aux yeux verts), l’argent brûlant, la politique oblique : appelons ceci les stations d’un gisant sur son ultime chemin de joie, malgré tout, et non de croix, en dépit d’une nette sympathie pour le Christ (renvoi du lecteur vers le malicieux Le C.V. de Dieu). Avec Mon autopsie, opuscule vivant, amusant et touchant, Jean-Louis Fournier signe non pas une vaine vanité mais un reflet infidèle, une oraison d’occasion, un chant du cygne magnanime (ranimer par le texte les « êtres chers »). Sincère, lapidaire, vacciné contre la complaisance et pourtant accessible au remords, confesseur de l’envie constante de plaire, d’une peur permanente vissée à l’intérieur (du ventre et de la conscience), l’exercice de métempsychose en prose s’avère en outre un livre d’amour (pour sa Sylvie à lui, moins évanescente que celle de Nerval, pour sa convertie Marie, hors d’atteinte) achevé au Père-Lachaise, « résidence secondaire » parisienne, éternelle, tandis que le post-scriptum en forme de pied de nez pascal nous rassure, au moyen d’une résurrection de conclusion.

En supplément, un estival entretien à visionner .

Commentaires

  1. "Post-scriptum en forme de pied de nez pascal ", un peu janséniste obligé par temps de covid : https://www.franceculture.fr/emissions/confinement-votre/jean-louis-fournier-avant-les-autres-etaient-ma-chance-maintenant-j-ai-peur-des-autres

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=qU8P1GbqJL4
      https://www.youtube.com/watch?v=arQqmwL6uXU

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    2. merci pour le partage des liens, en écho souriant du Dac au tac..
      Pierre Dac "Comment soigner la grippe ?" | Archive INA.https://www.youtube.com/watch?v=2_JfTrBQQbs

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    3. Bonus. La mafia de la recherche médicale | Merci Bernard | Archive INA
      https://www.youtube.com/watch?v=rILCuiiFMf0
      Le Hold Up Robert Lamoureux
      https://www.youtube.com/watch?v=Rqyzma4M8VI

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    4. https://www.youtube.com/watch?v=7E95wqMXgP8
      https://www.youtube.com/watch?v=OpAbH5qsTkA
      https://www.youtube.com/watch?v=YVGYMHBp0_c

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    5. https://www.youtube.com/watch?v=RbD3bvbNLPo
      https://www.youtube.com/watch?v=UXfklsKGwBU

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