Halloween III : Le Sang du sorcier : Tommy


Le début de la fin, pour un opus qui ne laisse pas sur sa faim…


Resservir aujourd’hui la célèbre citrouille de Carpenter ? Goûtons plutôt au potiron de Tommy et tant pis pour celui de Russell (Ken, pas Kurt). Halloween III : Le Sang du sorcier (1982, plaisante allitération française) commence comme En quatrième vitesse (Aldrich, 1955), en possède la saveur eschatologique. Fin octobre, un homme court en Caroline du Nord, traqué dans la nuit (américaine) de Dean Cundey, l’autre grand « prince des ténèbres » (des années 80) après Bruce Surtees (sévissant aussi durant les années 70) ; on ne dira jamais assez combien la filmographie de John C. doit au talent flagrant du directeur de la photographie. Il parvient à se débarrasser de son poursuivant motorisé, robotisé, au sein d’une casse, cimetière d’épaves à la Street Trash (Muro, 1987), nécropole sur roues du « rêve américain » au point mort (Christine sortira un an plus tard, en 1983). Dans une station-service désertée, pluvieuse, un Black prognathe mate un magazine tandis que la TV diffuse des actualités de fait divers (paranormal) et un spot pour une marque de jouets aux masques de saison (à la con). L’inconnu hurle, prévient en vain (« Ils vont tous nous tuer ! »), s’évanouit, une tête de cucurbitacée en caoutchouc à la main. Un comparse l’achèvera sur son lit d’hôpital, territoire du solide et fragile Tom Atkins (coureur de couloirs capturé au steadicam), très proche (et apprécié) du personnel soignant féminin, un peu moins de son ex-femme (Nancy Keyes, compagne enceinte du cinéaste) lui reprochant toujours son alcoolisme passé, gardant souvent leurs deux enfants (il leur offre des masques qui les déçoivent, ils mettent aussi sec ceux du petit écran, se plantent devant, la pub repasse, comptine-leitmotiv de lavage de cerveau des marmots). L’homme en noir, gants de giallo + énucléation (oculaire) à la Lucio Fulci compris, s’en va s’immoler dans sa voiture (la laborantine ne pourra analyser que du métal et du plastique, rien d’organique).

Cette introduction remarquable, comportementaliste, melvillienne (Jean-Pierre, pas Herman), donne le ton et l’ambition d’un film encore relativement méconnu, qui pâtit de la médiocrité d’innombrables suites très dispensables (une exception pour le nostalgique Halloween, 20 ans après, Miner, 1998, en partie produit par Kevin Williamson) et auquel on reprocha de ne pas procéder de l’univers de Laurie Strode & Michael Myers. Hors sujet, pièce rapportée, Halloween III ? Certainement pas, puisqu’il conserve et développe l’automatisation de The Shape, puisqu’il revient aux sources (cruelles) du culte celtique (de la pratique culturelle et du « mythe » cinématographique). Tommy Lee Wallace, scénariste-réalisateur, exit le vétéran britannique Nigel Kneale, vénère du résultat, nous narre avec une précision et une intelligence de chaque plan, de chaque instant, une moralité médiévale ancrée dans la temporalité étasunienne, reaganienne. Héritier de L’Invasion des profanateurs de sépultures (Siegel, 1956) et de La Nuit des morts-vivants (Romero, 1968, notez itou le sous-titre anglais, Season of the Witch, clin d’œil à l’item homonyme de 1972), il délivre une œuvre adulte, radicale, profondément désespérée, sur le basculement ontologique (et technologique) advenu à l’époque, il s’inscrit ainsi dans une lignée politique, épistémologique, réflexive (double sens) dont les fleurons s’intitulent Mondwest (Crichton, 1973), Les Femmes de Stepford (Forbes, 1975), Osterman week-end (Peckinpah, 1983), Vidéodrome (Cronenberg, 1983), voire Poltergeist (Hooper, 1982). Découvert (hier) trente-cinq ans après sa sortie en salle, Halloween III séduit par sa beauté formelle et par sa lucidité existentielle. Il paraît même plus carpenteresque que prévu, résonne évidemment avec Invasion Los Angeles (1988) ou Le Village des damnés (1995), plus étonnamment avec la légende du Joueur de flûte de Hamelin, illustrée au ciné par Demy (The Pied Piper, 1972), Egoyan (De beaux lendemains, 1997), ou avec Candyman (Rose, 1992, abeille buccale en commun, parmi un bestiaire biblique).


Que voit-on dans Halloween III, qu’y vois-je, moi ? Une entreprise raisonnée de destruction de l’American way of life par lui-même, par un Irlandais épris de sorcellerie, par exemple celle de Stonehenge, d’une « pierre bleue » monumentale dérobée en tour de prestidigitation invisible. Quand Challis, le médecin altruiste, l’interroge in extremis sur ses desseins, sur leur raison d’être (le pourquoi obsède la diégèse des genres dits horrifique ou policier, rassure le spectateur sado-masochiste avec un mobile apposé en baume sur l’absurdité violente du monde), Cochran (le délicieux Dan O’Herlihy, vu dans RoboCop, Verhoeven, 1987, Gens de Dublin, Huston, pareil, et… Mirage de la vie, Sirk, 1959), sorte de Willy Wonka (Charlie et la Chocolaterie) chenu, de croque-mort doucereux, de VRP d’atrocités, répond qu’il s’agit à la fois d’une (sinistre) plaisanterie et d’une résurrection de la « pensée magique » à la Lévi-Strauss, porte ouverte, littéralement ou sous la forme d’un (petit) écran, sur le spirituel, sur le surnaturel, sur le mortel. Halloween III réduit en bouillie (la tête des témoins, des gosses masqués) le mercantilisme de la frousse régressive et sucrée, celui d’une franchise désormais dévaluée (ou sombrée dans la psychanalyse scolaire white trash, merci à Rob Zombie), la famille américaine encore plus inculte et caricaturale que chez Minnelli (cf. également la séquence « fantastique » des mioches maquillés du Chant du Missouri, 1944) ou Sirk, jeu de massacre en test de huis clos avec TV, canapé, fenêtres murées, décor de soap perverti (et miroité) à la Lynch (Inland Empire, 2006). Mabuse affablement misanthrope, amoureux misogyne de mannequins allemands datant du dix-huitième siècle, Cochran règne sur les écrans de la modernité, transforme le corps, notre unique réalité, et encore, en simulacre rempli d’un sirop pisseux, onctueux.

Film placé sous le signe de Baudrillard, du désespoir individuel (l’individualisme US, traditionnellement héroïque, échouera au final, Atkins perdra sa petite amie, ses petite progéniture, sa raison de subversion), Halloween III n’hésite pas à tuer des enfants, dans et hors-champ, tabou naguère renversé par Hitchcock (Agent secret, 1936) puis De Palma (Les Incorruptibles, 1987) et il le fait sans une once du sentimentalisme nauséeux des tire-larmes disons cancéreux (ou la maladie infantile que vous affectionnez). L’Amérique de Tommy Lee Wallace se résume au monopole, à la défaite du petit magasin face à l’usine (on pense au Grand Bazar de Zidi, 1973, affrontement de la petite surface et du supermarché, quasiment celui de Zombie, Romero, 1978), à une publicité omniprésente, décérébrante, à une atmosphère complotiste, à un quadrillage de vidéo-surveillance, à une sexualité directe, enfin mature (le docteur veut bien « jouer au docteur », s’enquiert cependant de l’âge de la fille du défunt, fausse mineure, candide et gracile Stacey Nelkin) mais écourtée, attristée, à une substitution définitive de la Fiction au Réel. « Coupez ! », le cri ultime, en guise d’avertissement panique, impératif, adressé en regard caméra par le messie impuissant, prend en 2017 une portée particulière, ne vise plus (seulement) le signal létal télévisé (un salut à Brian O’Blivion), englobe les (bien nommés) cellulaires et Internet, ce gigantesque fac-similé mondialisé, médiatique, numérique, psychique, recouvert en drap mortuaire sur la matière sensible, sur la chair de la vie, intérieure et extérieure. Bien sûr, l’avatar d’Hippocrate gueule dans le vide devenu le plein de nos matins. Comme John Tanner piégé par Peckinpah, il ne peut sortir du jeu dangereux, démasquer la farce macabre, il peut à peine ralentir l’apocalypse puérile ramassée sur une semaine – et nous non plus.


Certes, notre corps résiste encore (pour combien de temps, avant que le « marché du vivant » et l’idéologie du « transhumanisme » ne le redéfinissent, ne le commercialisent ?), alors que dans Halloween III, le génocide (l’infanticide) ne fait aucun doute. Si John Carpenter faisait du Mal une entité autiste, abstraite, immortelle, Tommy Lee Wallace lui confère une réalité économique, mystique, contemporaine. Carpenter, dans le sillage d’un Lang, se révèle constamment architecte de l’inquiétude, filme en Scope (format méprisé par Fritz) une absence-présence, une hantise ressentie dans l’évidement du champ, et la banlieue de La Nuit des masques (Carpenter, 1978) à la Norman Rockwell, à la Edward Hopper ou à la Tim Burton, avec ses allées réglées entre les pelouses douces, avec ses adolescents un peu trop grands, sexuellement innocents, se voit contaminée par la mort, par le désordre, par la folie (d’enfance, en POV sous le masque du bambin assassin démasqué), par le rien occupant l’écran, tous ces plans de natures et de feuilles en effet « mortes », de maisons inertes, de routes désertes. Notre Tommy opte lui pour la mélancolie, la solitude, l’isolement de silhouettes-personnages prises dans la prison du cadre horizontal. Le meurtre (perceuse présagée de Body Double, De Palma, 1984) de Teddy, la fille aux flacons, demeure à ce titre une leçon de réalisation, qui joue pleinement avec le double espace du champ et du lieu, qui refuse les farces et attrapes du gore (malgré d’autres moments plus dégoûtants, plus « graphiques »), qui utilise la durée, le contrepoint (« musique d’ascenseur » à la radio) afin de mieux souligner l’horreur (éternelle) de la situation, de la profanation.

Signalons en outre que la bourgade californienne (le QG du « sorcier ») s’appelle Santa Mira, que ce toponyme ironique et explicite renvoie au regard (à son narcissisme), au mirage (du bonheur abordable, de la nation unie, de la suprématie planétaire, de la normalité monstrueuse) autant qu’à la liturgie du produit, du divertissement, du travestissement, de la lobotomisation à grande échelle. La tenancière esseulée d’une boutique à San Francisco (Garn Stephens, Madame Atkins à la ville), venue sur place pour pallier à un retard de commande, peut bien lire Castaneda et découvrir (pour son malheur de défiguration) le secret horrifique (non plus magnifique, en mode sirkien) du badge d’holocauste (de sacrifice humain réinventé par l’électronique), aucune transcendance ne viendra à son secours, aucun deus ex machina (ou ghost in the shell nippon) ne l’épaulera dans son martyre heuristique. Nous le disions supra, Halloween III ne fait pas de cadeau (lénifiant ou marrant) au spectateur, au fan, à l’amateur de slasher et à l’adepte du Michael muet maniant le couteau à contre-jour. Il préfère le cosmique au domestique, le tragique au ludique, l’hécatombe aux ombres. Mine de rien, sans faire le malin, en plaçant sa caméra en permanence au bon endroit, à la bonne distance, Tommy Lee Wallace signe un grand petit film fataliste et sarcastique, éclairant et troublant, qui rivalise différemment avec le premier volet de la série, qui justifie pleinement son titre, qui honore ses créateurs (une triple pensée pour la regrettée Debra Hill, pour l’indéboulonnable Dino De Laurentiis, pour le planant Alan Howarth, aux claviers avec JC), qui mérite largement sa redécouverte, sa réhabilitation, sa mise en valeur par votre enthousiaste serviteur (je n’emploie pas le mot chef-d’œuvre, terme hélas dévalué, je n’en pense pas moins, justes proportions gardées).


On le sait (ou pas), Halloween III, en dépit de toutes ses qualités, ou à cause d’elles, s’avéra pourtant un échec commercial et critique (l’exception du clairvoyant Vincent Canby confirme la règle de l’aveuglement), fit capoter le projet d’anthologie thématique. Avec son intertextualité discrète (Halloween n’apparaît qu’en courts extraits à la TV), avec son filigrane marxiste (le clochard imbibé, décapité, semble sortir des Raisins de la colère, Ford, 1940), le film de Tommy, par ailleurs monteur de La Nuit des masques et Fog, de surcroît auteur de l’agréable adaptation télévisuelle (millésime 1990) de Ça, le pavé méta de Stephen King, s’émancipe de sa matrice et portraiture sans rature le « cauchemar climatisé », millerien (Henry, pas Frank, quoique), d’un pays peuplé (la Dorothy endormie du Magicien d’Oz, Fleming, 1939, ne dira pas le contraire, ni le Donald Trump milliardaire propulsé de la télé-réalité à la Maison-Blanche, diantre) de sorcières, de mercenaires, de conspirateurs, de camelots, de squelettes, de chansonnettes, de citrouilles qui dérouillent, en bons « laissés-pour-compte » du capitalisme mensonger, mortifère, dorénavant adoubé ou combattu tel un horizon universel, de films populaires et pénétrants (pas pédants) à percevoir à l’instar de mises au point, de cartographies, sinon d’actes de révolte, de résistance, de guérilla grimée sous la panoplie a priori inoffensive du « genre » (Carpenter par cœur), tout ce qui nous le rend, à nous, « vieux » Européens guère sereins, tout sauf en position de lui donner des leçons (de diplomatie, de cinématographie), repoussant et attachant. Oui, si vous ne savez pas quoi faire ce soir, allez visionner (même en VF, dans une copie heureusement de bonne qualité) Halloween III, vous ne le regretterez pas, croyez-moi, ou bien n’hésitez pas à m’expédier vos désaccords. Vous verrez peut-être à votre tour briller dans la courge sculptée le reflet inattendu de la flamme fervente, humaine, allumée en 1983 par Tarkovski dans Nostalghia, voilà.


Commentaires

  1. La réalité dépasse la fiction , en effet, prenez garde à Trump prophétisait en 1989 Félix Guattari qui s'y connaissait en détraqués, sa calebasse à la face couleur de citrouille à la mèche Fox... Crime of the Century, maintenant qu'il s'enfile une potion dite miracle à base de tissu foetal avorté pour rajeunir et sortir soit-disant victorieux du virus, on nage en plein cauchemar, pauvre humanité, Halloween est en avance cette année, on est loin de La Grande Citrouille (Titre original : Il grande cocomero) est un film franco-italo-néerlandais réalisé par Francesca Archibugi, sorti en 1993.
    il nous reste pour toute consolation peut-être la musique Season of the Witch · Al Kooper https://www.youtube.com/watch?v=jCO-JdMR91k
    et les films inclus dans votre élégant billet, qui restent à voir, ou revoir selon votre éclairage...

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    Réponses
    1. Ah, la cara Francesca :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2016/02/les-gens-normaux-nont-rien.html
      Ah, l'adorable Lana :
      https://www.youtube.com/watch?v=zA4OjrpVsiY
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/07/la-belle-au-bois-dormant-le-grand_24.html
      Chères sorcières :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/10/belladonna-la-sorciere.html
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/03/season-of-witch-ma-femme-est-une.html

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