Le Veilleur de nuit : Nick’s Movie


Ne jamais craindre les corps, toujours se méfier du policier… 


Cela commence plutôt bien, par un incipit en POV à la Michael Powell (celui du Voyeur, tant pis pour celui des Archers), par un assassinat de prostituée (Jack les éventrait) singeant une morte, quelle sotte, avec couteau de giallo reflété-surcadré dans un miroir, avec cacatoès occis inclus (pale létale de ventilo rigolo à la Apocalypse Now). Puis plus rien, ou presque, ou si peu. Associé à Steven Soderbergh en scénariste « indigène », chaperonné par les frères Weinstein, Ole Bornedal se remake lui-même et nous emmerde assez vite, tant son film américain se signale par une inhabileté à mêler les tonalités, sinon les « genres » (qui n’existent pas pour moi, en tout cas au cinéma, vous allez finir par le savoir). Le Veilleur de nuit se voudrait au-delà du « film d’horreur » alpha, simple divertissement pour adolescents lobotomisés, vous comprenez, il vise la fable individuelle et collective sur l’absurdité de la violence, diantre, il tend vers la métaphore initiatique, bigre. Au terme de leur virée en train fantôme dans la morgue universitaire, Ewan McGregor & Josh Brolin grandissent, deviennent, au prix d’un pouce coupé, automutilation molto freudienne, de vrais mecs, amen, et non plus un couple masculin mesquin, immature, délesté de l’homosexualité hitchcockienne (La Corde ou L’Inconnu du Nord-Express), en contre-partie alourdi d’une envie d’aventure(s) et d’une crainte de la vie (trauma du père adultère, mon cher Freud). Face aux deux acteurs bien trop vieux, quoique, pour user les sièges d’une faculté (de droit), Nick Nolte incarne un flic en forme de némésis, de figure paternelle perverse, à la Mitchum chasseur nocturne, puisqu’il s’avère le tueur d’hétaïres, qu’il honore par voie rectale (voire levrette suspecte) après leur mort, en bon nécrophile autrefois gardien de la nécropole au sous-sol (de la peur, rajoute le cher Craven).


Le thriller s’étire et à moins d’être dépourvu d’un cerveau (des pieds amputés marinent hors-champ dans un gros congélo), on suppute rapidement l’identité du décimeur de péripatéticiennes (qui veut d’ailleurs arrêter, qui fait accuser à sa place le jeunot palot). Le bel Ole cite Polanski en influence auteuriste mais son Locataire à lui sent le formol et surtout l’eau de Javel, tant Le Veilleur de nuit ne sollicite point notre cervelle, notre cœur, encore moins notre pénis (ou vagin). Désincarné, inerte, cadré au cordeau (de story-board) dans un Scope en effet parfait pour « les serpents et les enterrements » (remember les propos méprisants-marrants de Fritz Lang), sa resucée étasunienne n’envoie personne au septième ciel, et certainement pas Patricia Arquette (soleil noir de Lost Highway), réduite à une pure utilité narrative (de témoin chagrin). Pourtant, le directeur de la photographie Dan Lausten (à l’œuvre sur le diptyque Le Pacte des loups + Silent Hill de Christophe Gans) fait du bon travail (de funérailles) ; pourtant, la monteuse Sally Menke (collaboratrice régulière de Tarantino) ne démérite pas ; pourtant, une poignée de plans (au sein malsain de la morgue, pendant une injection dans le cou) laissent entrevoir ce que ce cadavre de cinéma pouvait donner (à éprouver, à frissonner, à réfléchir à la banalité du pire, trépas patient nous attendant toi et moi). Après tout, notre Patrick Bouchitey national signa autrefois une adaptation renommée de Bukowski à la thématique similaire (Lune froide, 1981, produit par un certain Luc Besson). Hélas pour le spectateur, le Danois quadra hésite entre la terreur et le farceur, associe avec maladresse rire et rictus, whodunit et gamineries (la pénible scène du bar, avec billard et virilité mal placée, ou le regard caméra jovial jeté à l’intérieur d’un frigo, incongru emplacement d’objectif à la David Fincher).

Nolte, colosse impressionnant et désarmant, semble étrangement absent, il devait sans doute penser à ses impôts, à l’instar de Garbo sur le cargo de Mamoulian (mémorable coda de La Reine Christine). Tout ceci, conduit par un vrai cinéaste, avec suffisamment de testicules (ou de testostérone) pour s’imposer là-bas, dans cette supposée « Mecque du cinéma » peuplée d’obsédés, de névrosés, d’hommes et de femmes à peine humains, nourris au physique et au fric (cf. Mulholland Drive, mélodrame méta et dérive onaniste de « tourisme sombre »), possédait une chance d’intéresser, de choquer, de troubler, tandis que Bornedal se contrefiche de ses gisants, de ses vivants, de son émouvante « travailleuse du sexe » (Alix Koromzay) humiliée, camée, sacrifiée, rêveuse éveillée, envapée, de Népal fatal, des anecdotiques caméos de Brad Dourif & John C. Reilly, il ne songe qu’à bien trousser son autopsie en vue de s’établir au soleil californien. Peine perdue, on le congédia fissa, va voir à Copenhague si nous y copulons, couillon. Ça ne l’empêchera pas de produire la même année le Mimic du falot del Toro. Vingt après sa sortie en salle, son Veilleur de nuit vaut à peine une veille de visionnage en DVD, film mort-né passé à côté de son sujet, trop timide et appliqué pour se risquer vraiment à la tragi-comédie de la vie, à illustrer sa farce macabre, in fine résumable à une interminable et inanimée mascarade.

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