Angel Dust : Les Ailes du désir


Un ange gardien ? Plutôt une Parque patraque…


Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs sur des étagères,
Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.
[…]
Et plus tard un Ange, entr’ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.

Guillaume Foresti connaît-il La Mort des amants de Charles Baudelaire ? Sans doute et sinon peu importe, tant les œuvres en général et celles-ci en particulier se répondent à distance, presque en dépit de leurs auteurs. La première édition des Fleurs du mal date de 1857 et Angel Dust de 2005 : cent quarante-huit ans (et des poussières, d’ange, évidemment), cela représente quoi ? Rien « sous l’aspect de l’éternité » (pontifierait Spinoza) et pas grand-chose vu du ciel (majuscule optionnelle), celui où se tient l’ange au féminin adepte de l’automutilation, comme un écho à la peau chirurgicalement déchirée par les ailes irréelles du personnage (bien nommé « fille-ange ») d’une nouvelle de Simona Vinci découverte naguère (Dans tous les sens comme l’amour, recueil traduit en 2003, tel un manuel d’anatomie sentimentale au scalpel littéraire). Sur son toit d’hôtel surmonté d’une enseigne d’ébène, avatar de The Million Dollar Hotel, l’immaculée maculée de son propre sang se déleste de ses plumes légères, tandis qu’au-dessous, dans une des chambres interchangeables, un homme et une femme en train de faire l’amour succombent à la « petite mort » littérale. Ici, les draps deviennent des linceuls et un lecteur liminaire se transforme fissa en momie à la Terence Fisher (souvenir peut-être inconscient du court item délicieusement vampirique de Pierre Étaix intitulé Insomnie). Angel Dust (une pensée pour Poussière d’ange, le beau polar à fleur de peau d’Édouard Niermans avec Fanny Bastien & Bernard Giraudeau sorti en 1987), en clin d’œil muet/sonorisé à la drogue de Gainsbourg (Aux enfants de la chance sur l’album You’re under arrest paru la même année), nous montre trois addictions, culturelle, charnelle, surnaturelle.


Un vent eschatologique (et pour ainsi dire extradiégétique) souffle dès le début de cet instantané d’études, de ce précipité de chute luciférienne. Exit Wenders à Berlin (ou Los Angeles) et bienvenue à l’enfer (majuscule optionnelle, bis) disons d’un Sartre : les émissaires divins n’envient plus les tourments charmants des humains (trop humains) mais macèrent dans une sorte de stase jalouse, suicidaire. Un regard trop rapide (ou orienté à charge) pourrait percevoir dans la fable létale sur les passions fatales des miasmes de puritanisme, surtout à la suite de la tristesse sexuelle de À vif. Heureusement, le réalisateur (moraliste et non moralisateur) ne condamne personne, son premier essai séduit sans arrière-pensée, cartographie déjà le radeau médusé d’un couple à la dérive, victime de forces à la fois concrètes et métaphoriques (votre interprétation vaut la nôtre supra, n’en doutons pas). Avec une douce lucidité, avec un sens du tragique (et du cadre) avéré, qui ne s’interdit pas un soupçon d’ironie et d’humour aussi noir que la nuit alentour, mon amour, avec une artificialité assumée via des décors et des maquettes dus à l’ENSAD, Foresti filme un conte de fées défait pour adultes, une « scène primitive » en matrice du fantastique, un tableau animé à l’hyperréalisme suspect (Edward Hopper apprécierait le soleil surréaliste éclairant la femme de chambre surcadrée depuis l’extérieur par une fenêtre à la manière des amants maudits de Psychose). Certes, l’intéressé peut déplorer, lors d’un échange privé (avec votre serviteur), la qualité de la compression sabotant la luminosité du 35 mm, luxe d’art minimaliste ; la mise en ligne en l’état ne parvient pas à assombrir l’étrange beauté du métrage, sa langueur de malheur, son mystère familier.


Un vaste sentiment de solitude (à cinq silhouettes) se déploie dans le monde miniature, saisit aussitôt le spectateur mis en abyme. Le bleu (des murs), le blanc (de la robe) et le rouge (du sang) s’apparentent à une calligraphie funeste (et hexagonale !), à une énigme ouverte, à l’instar d’un sexe de femme et d’une bouche de cadavre (masculin). La noirceur du panorama (intérieur et extérieur) contraste avec l’éclat d’une forme rigoureuse et suffisamment sûre d’elle-même, de ses juvéniles puissances, pour s’autoriser la vitalité (contradictoire) à la verticale d’un gisant lisant, d’une étreinte souriante (frontalité presque en POV, s’il vous plaît), d’un silence de désastre céleste. La nudité adulte, tout sauf exploitée, de Lucie (prénom idoine) Borleteau, plus tard actrice pour Bertrand Bonello au bordel (hugolien et dispensable L’Apollonide : Souvenirs de la maison close) et réalisatrice du plébiscité (cependant guère chavirant, hélas) Fidelio, l’odyssée d'Alice, contraste avec le visage obscur de sa némésis au bord du précipice. Le sieur Foresti contribue de très près à cette tapisserie de textures opposées, harmonieuses, en charge des effets spéciaux mécaniques, optiques, numériques et du montage. Remarquez en outre que le générique de fin remercie un certain John B. Root, dont nous vantâmes sans état d’âme l’aimable Le Pornographe et le Gourou, livresque autofiction de saison. Une fois encore, les rencontres (virtuelles ou réelles) s’accordent et le texte (bref) que vous lisez rime (ne l’épuise pas) avec le film que vous allez visionner (ou alors je saborde mon blog…). Terminons par un rendez-vous, puisque je reviendrai vite sur le travail de Guillaume Foresti, et grâce à lui. En attendant, je lui souhaite sincèrement bonne chance pour ses deux projets (d’amour et de sexualité, de correspondance et de transcendance) et vous invite, au mien miroir et sur vos réseaux, à découvrir l’univers d’un cinéaste singulier à suivre assidûment. 

                    

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