D.A.R.Y.L. : L’Enfant miroir
« Les enfants appartiennent à
leurs parents » : vraiment ?...
On n’en finit jamais avec les années
80… De Simon Wincer, je me souvenais du réussi Harlequin, écrit par le
regretté Everett De Roche, déjà (en partie) une histoire de gosse (guéri),
cette fois-ci à la sauce russe (tendance reboot
de Raspoutine, le charismatique-christique Robert Powell s’y colle). Ensuite,
l’Australien plongea dans le sillage de son cétacé (indépassable Orca)
guère melvillien (Herman, pas Jean-Pierre) – Il faut Sauve(z)r Willy ? Il
convient surtout de réévaluer D.A.R.Y.L. (je ne dirai rien de Crocodile
Dundee III, on comprendra pourquoi), un peu vite évacué en recyclage paupérisé
de E.T.
et dans les parages de toutes ces bandes (double sens) de bambins pullulant alors
sur les écrans sous la régressive administration Reagan (Les Goonies et
compagnie). Une autre erreur reviendrait à l’assimiler à l’univers du
contemporain Joe Dante : pas de nostalgie ici, même si Robby le robot de Planète
interdite fait une apparition télévisée (en sus de Hulk dessiné-animé).
En tant qu’observateur étranger d’une Americana
capturée en Floride, en Caroline du Nord et reconstituée en studio à Pinewood,
c’est-à-dire en Angleterre (tourné au pays de Russell Mulcahy, Harlequin
jouait itou sur l’illusion géographique), Wincer à ses débuts étasuniens me
fait plutôt penser à Carpenter, à Comencini, à Sirk (je n’exagère pas, ou peu,
je vais préciser sans me justifier). D.A.R.Y.L. s’ouvre et se termine par
deux traques motorisées, dans les montagnes et dans le ciel, en plein jour, en
pleine nuit, la première évoque The Thing, hélico compris, la
dernière Starman, militaires vénères inclus. Cette coda en avion promis
à la destruction, martial et coûtant des millions (de dollars), résonne aussi avec le Firefox de Clint
(Eastwood, aux répliques reprises par Ronald) et la position assise, devant un
tableau de bord (ou un jeu vidéo routier, sur console Atari, pardi), se lit
aujourd’hui à la fois en signature de l’époque et en étrange présage des
conflits supposés dématérialisés de l’Oncle Sam, à Bagdad ou ailleurs.
Rien d’étonnant, puisque le virtuel
et par conséquent le simulacre (à la Baudrillard) occupent le cœur (battant) du
métrage, fable familiale (depuis quand s’agit-il d’un défaut, voire d’une
insulte ?) autour d’un enfant-robot (plus ou moins inspiré par le « réactionnaire »
Les
Aventures de Pinocchio, que Luigi C. détestait) en
quête d’identité, d’humanité (je ne crois pas au hasard, pas même à celui d’un visionnage
aléatoire en VF sur une célèbre plate-forme d’hébergement de contenus
audiovisuels, et je signale qu’au même moment ARTE diffusait le A.I.
de Spielberg d’après Aldiss & Kubrick, sorti seize ans plus tard). Film
tendre, film modeste, film qui ne prend jamais le spectateur, adulte ou
infantile, pour un imbécile, D.A.R.Y.L. se caractérise par sa
douceur (beau boulot automnal et nocturne du DP Frank Watts, Britannique de TV,
par exemple Cosmos 1999), par sa justesse (de ton, ensemble de la
distribution à l’unisson, mentions spéciales à Barret Oliver, vu dans L’Histoire
sans fin et Cocoon puis reconverti en photographe, à Mary Beth Hurt, femme de
Paul Schrader revue dans Le Temps de l’innocence + À
tombeau ouvert de Scorsese ou L’Exorcisme d’Emily Rose, à Michael
McKean, co-scénariste du surfait Spinal Tap et visible dans Les
Aventures d’un homme invisible, Jugé coupable, Small Soldiers, à Josef
Sommer, présent dans Les Femmes de Stepford, au thème en
harmonie), par un soin de chaque plan, de chaque instant. Wincer, vrai
cinéaste, se glisse avec délice dans un classicisme attentif, pas paresseux ni
académique. Il use du Scope afin de donner une ampleur d’espace et de densité
(graphique) à Une histoire simple (un salut à Sautet), à un (mélo)drame de
chambre, à un conte initiatique électronique (les parents « truqués »,
à la Philip K. Dick, de l’androïde réparent son cerveau en POV numérisé,
mazette).
Dans L’Incompris, un gamin (mal-aimé)
mourait d’amour, littéralement ; dans D.A.R.Y.L., une machine
conçue en récolteur (doué) de données, dotée de la ductilité de nos cinq sens,
en vient à aimer sa famille d’accueil, et réciproquement. L’orphelin forestier,
auparavant kidnappé pour sa liberté par un scientifique peu cynique, filme son
parcours en caméra subjective, mais ces images-témoignages ne feront surface
que lors d’un débriefing avec ses créateurs, que l’on croyait d’abord sans
cœur. Simon Wincer pratique une sorte d’ethnographie généreuse, presque
fordienne, il laisse au grand Douglas la flamboyance de sa cruauté (je renvoie
vers Tout
ce que le ciel permet), au délicat David (rematez Blue Velvet) sa
sensorialité ironique. D.A.R.Y.L. fait comme si La
Nuit des morts-vivants n’existait pas, comme si vingt-cinq ans
d’histoire américaine (la lutte pour les droits civiques, le Vietnam, le Flower Power, le Watergate, Charles Manson et sa « famille »
d’assassins) se voyaient aspirés dans je ne sais quelle faille
spatio-temporelle (David Ambrose, l’un des trois scénaristes, écrivit Nimitz,
retour vers l’enfer et Le Survivant d’un monde parallèle,
où le David Hemmings de Blow-Up relisait Carnival
of Souls, idem flanqué de
Robert Powell). Au premier abord, on pourrait penser que son métrage rassoit
l’édifice (rassis) familial, évidemment WASP (pas un seul « homme de
couleur » à l’horizon, bon), en adéquation avec la fiction présidentielle
cocardière et stellaire (La Guerre des étoiles de Lucas en réelle
menace face aux Russes de Rocky). Et pourtant, en cela D.A.R.Y.L.
rejoint E.T., quelque chose change, une fêlure contredit (ou corrige)
le lyrisme rassurant du happy ending survenu
après une noyade (Allan Scott, collaborateur régulier de Nicolas Roeg, signa Ne
vous retournez pas onze ans plus tôt), en écho à la résurrection des
astronautes de Capricorn One, similaire parabole sur les apparences, sur le
cinéma en art politique et heuristique, en croyance collective qui nous fait
mieux voir, qui nous fait grandir, pour le meilleur et le pire.
Dans son voyage au bout de lui-même,
dans sa découverte des us et coutumes (la séquence du match de baseball
fonctionne dans sa véritable nature de liturgie laïque, de rite inclusif et intergénérationnel)
de l’Américain « moyen » (des fonctionnaires cérébraux soumis, ou
insoumis, à leur hiérarchie armée, un directeur de centre spécialisé, le petit
patron d’une entreprise de construction), Daryl n’expérimente pas/plus l’amitié
problématique d’Elliot (progéniture de mère célibataire) avec un alien n’aspirant qu’à rentrer chez lui,
chassé par les autorités en échec implicite du mythique melting pot (le Cimino de La Porte du paradis opine
différemment), dada des USA avant l’avènement des « communautés »,
l’afflux des « réfugiés », dorénavant des « migrants »
(l’Europe, terre d’exil, notamment outre-Atlantique, peine à se transformer en
terre d’accueil, on peut le déplorer, encore doit-on en comprendre les causes
historiques, au-delà d’une crise économique systémique), il éprouve, à côté de
la joie d’avoir rencontré des gens qui l’aiment, qui l’admirent, qui le trouvent
même un peu trop parfait (poli, discipliné), une émouvante mélancolie, liée à
la solitude, à la différence, à la mortalité (belle pietà avec son « papa » sous un arbre à la Tarkovski, cf.
le minot et le vieillot réunis du Sacrifice). Avec sa petite ville
dessinée par Norman Rockwell (ou à l’inverse par le Carpenter de Halloween,
visez-moi ces allées de pelouses perpendiculaires), avec ses personnages attachants,
désarmants de normalité blessée (stérilité devinée, adoption d’occasion), avec
son aimable refus du sentimentalisme (en dépit du sifflement de trimardeur
liminaire, des cordes onctueuses et de la harpe dédoublée de Marvin Hamlisch,
compositeur regretté, bis, et primé
des chansons de Nos plus belles années, par Barbra Streisand, de L’Espion qui m’aimait, par Carly Simon, accessoirement adaptateur musical de L’Arnaque),
du spectaculaire (ce film de vitesse et de lenteur surnomme malicieusement
Turtle l’ami dégourdi du protagoniste rapide, tandis que la poursuite en
voitures finale privilégie l’astuce aux dépens de la casse), avec son laboratoire à la Solaris
(capitonnage eugéniste) et son QG à la Wargames (arrière-salles
d’ordinateurs du parc thématique Disney à Orlando !), D.A.R.Y.L. séduit et
surprend, contient un instant poignant, lorsque la créature interroge sur sa
nature son « géniteur » soudain muet, prenant la porte (et décidant illico de le soustraire à la destruction
des hommes en uniformes, davantage portés sur un Universal Soldier à la JCVD
que sur un acronyme conscientisé, hackeur avant l’heure, détrousseur de DAB,
cobaye apeuré aux électrodes débranchées, sujet in vivo du fameux test de
Turing – mec ou machine ? – mis en scène de manière oculaire dans Blade
Runner).
Au risque de me répéter, ce joli petit
film mérite sa redécouverte, parce qu’il parvient à dire (à montrer) deux ou
trois choses toujours d’actualité sur la famille (recomposée), sur
l’idiosyncrasie (en perpétuelle reconfiguration, morale existentialiste), sur
la lucidité des mères (Joyce ne veut se rendre à l’évidence du
programme, elle comprend mieux que quiconque et avant tout le monde l’altérité
familière de Daryl, elle lui confère par procuration, en lui donnant
l’autorisation de se tromper, de rater, de décevoir, une faiblesse qui nous
honore, qui nous incite à faire mieux la prochaine fois, pédagogie infinie),
sur le dévouement des pères (putatifs), jusqu’à la mort, sur la fragilité de la
paternité, sur la façon dont on fait partie, bien qu’à la marge, d’un groupe
social défini (et cela tient de la mise en abyme personnelle, Wincer refaisant
ses gammes à Hollywood). On le voit, D.A.R.Y.L. ne relève de la
science-fiction que par accident, par contexte commercial (malgré un relatif
échec), son essentiel se situe ailleurs, sur Terre, au sein des cœurs
(humanisme clairvoyant à la Saint-Exupéry). Certes, on peut (mille fois)
préférer le cauchemar pédophobe du Village des damnés (j’aime bien
l’original de Wolf Rilla mais je privilégie la version de Carpenter, pas
seulement pour Linda Kozlowski ou le regretté, ter, Christopher Reeve, qui jadis immortalisa Superman, pareille
moralité sur l’identité américaine, sur la famille humaine, magistralement
troussée par Richard Donner), néanmoins rien ne nous oblige à négliger le film
de Simon Wincer (conseillons en conclusion de voir ou revoir son troublant Harlequin).
Oui, on n’en finit jamais avec son enfance...
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