Lapsus : My Beautiful Laundrette


Le sang « ne part pas » et nous non plus, captivé(s) par les funérailles mentales.


En trois mots : du beau boulot que ce huis clos, davantage proche de Memento (le Temps discontinu selon Nolan) que de Tarantino (nulle logorrhée ni second degré, malgré un humour noir constant). Karim Ouaret, trentenaire avignonnais, réalisateur multicartes (clips, publicités, téléfilms), livre un court métrage impossible à confondre avec une esquisse trop diluée dans la durée ou un long avorté. Lapsus, film maîtrisé du premier au dernier plan, constitue l’équivalent audiovisuel d’une nouvelle, image(s) d’un monde en soi se suffisant remarquablement à lui-même. Le solipsisme s’avère d’ailleurs le sujet autant que la forme de cette réflexion en action(s) ludique et dramatique sur les délices et les délires de la perception. Film aimablement méta, à la fois de et sur le cinéma, l’opus revisite un imaginaire (et une imagerie) de polar (ou de graphic novel) américain et le réinvestit d’une sensibilité pleinement européenne (belle caractérisation des personnages, riche ironie si l’on songe à leur double nature de créatures et de projections). Dépourvu du moindre effet, de tout « effets de manche » de parvenu (production entièrement indépendante), il nous plonge dans l’esprit et la mémoire d’un quidam se rêvant acteur ou ange exterminateur (presque la même chose), tueur (en série) par hasard, par addiction à la fiction en cases de couleurs à la Bill Sienkiewicz. La coda, angélique et sarcastique, lui fera rencontrer in fine un ange brun au prénom idoine. Tandis que certains, sinon la majorité, se lamente sans rien faire sur l’état assurément problématique du cinéma français, Ouaret, accompagné d’une équipe (technique) dévouée, professionnelle, tourna cela en six jours du côté d’Antony, dans un local refait à neuf pour les besoins du récit, voyagea partout et récolta moult récompenses attribuées avec justice (record national pour ce format, à battre ou pas).

La tension, le suspense, la violence judicieusement hors-champ, jamais exploitée ou dévaluée, le jeu avec le spectateur (indice disons historique avec le Playboy « incunable », avec la situation fantasmatique du prologue, porté par une Sophie Meister en magistrale femme fatale finalement pour elle-même, d’une couleur de cheveux et d’une tenue vestimentaire à l’autre), la respiration du Scope à l’intérieur de l’espace réduit (le making-of nous montre le cinéaste en cadreur costaud), une direction de la photographie (due à Matias Boucard) réellement évocatrice dans sa nuit colorée, dans sa journée délavée, la précision de la dramaturgie, tout ceci concourt à la réussite de Lapsus, œuvre artisanale et chorale (toute la distribution mérite une ovation, cafard inclus) dont émane une vraie passion du cinéma et une volonté non subventionnée, perfusée, formatée, de s’exprimer ici et maintenant, quitte, bien sûr, à viser l’international (tournage en anglais justifié par l’univers narratif et l’horizon de distribution). Dans cette relecture (en « focalisation interne ») pirandellienne et cruelle de silhouettes (d’une suspecte) en quête d’auteur, d’un destin aux allures de massacre sur fond de trafic de came (les machines laveraient donc « plus blanc » la poudre du crime ?), notre director n’accumule aucun temps mort, ne joue pas au petit malin, ne se fait pas mousser (à la lessive). Serein, déterminé, modeste, une jolie part d’enfance dans le regard et le sourire, il met en valeur chacun des acteurs (impressionnant Arben Bajraktaraj), sublime (en douceur discrète) et maltraite (gentiment) son actrice, raconte avec élégance et puissance une histoire pleine de bruit et de fureur mais également de foi dans les pouvoirs du cinéma, illusion animée toujours révélatrice, a fortiori au carré, mise en abyme, de nos intériorités les plus redoutablement avérées, impitoyablement sincères.


De la sincérité (de la beauté itou), ni Lapsus ni son auteur n’en manquent, et l’on ne peut que souhaiter le meilleur à Exceptions, dont nous ignorons tout, qu’il nous tarde vraiment (et vivement) de découvrir. En guise de conclusion, de retour à l’origine, un salut, bien sûr, à Jalane, sa co-productrice et, accessoirement, la femme de sa vie, puisque l’album (venez si ça vous tente, car qui le saura, qu’elle me permette ou pardonne ce double private joke un brin équivoque) à son nom en édition collector, acquis vendredi, nous conduisit jusqu’à lui. Le hasard n’existe pas (« Mektoub ! » affirmait naguère Omar Sharif face à Peter O’Toole dans Lawrence d’Arabie), contrairement au talent. Il vous reste par conséquent quarante minutes environ pour compléter cet article en découvrant, ici ou , un grand petit film de passionnés, à l’impact surprenant et prometteur.
   

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