Still the Water : La Chèvre
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Naomi
Kawase.
La mer, la mort, l’amour :
Kitano, avec le superbe Hana-bi, passa déjà par là. Still
the Water entend associer Mia madre au Lagon bleu, avec un zeste
du Sang
des bêtes (bienveillance des abattoirs) et de Cannibal Holocaust (un
salut à la tortue) en sus, « au grand dam » des membres de la SPA, assurément
révulsés par la double agonie (« effet de réel » paresseux) d’une
chèvre (« Ça va durer longtemps ? » se lamente l’adolescent
miroitant les spectateurs les plus émotifs). Naomi Kawase, chouchoute des
critiques (même divisés) et de la chaîne franco-allemande, documentariste et narratrice visiblement
obsédée par la palme cannoise (ire grotesque d’un Angelopoulos naguère « reparti
bredouille »), qualifiant son film, en toute modestie, de « chef-d’œuvre »,
déploie durant cent quatorze très longues minutes sa camelote cosmique à la
Malick, son prosélytisme d’animisme-panthéisme à faire rougir Miyazaki (sauvé
par la distance du dessin animé, Princesse Mononoké, allez), son
portrait dédoublé des douleurs et des délices de la puberté (matériau ressassé
qui ferait presque dire, à l’instar de Danny Glover chez Richard Donner,
« trop vieux pour ces conneries »). Il faut toujours se méfier du
cinéma didactique (y compris selon Rossellini, autre amateur de féminité
insulaire sur le seuil/sommet de l’indicible, spécialement à Stromboli), épris de
philosophie (à part Descartes & Nietzsche, non merci), de métaphysique
(onanisme hermétique de Heidegger, avec ou sans sa carte du NSDAP), de poésie (beauté de
Benetton substituée à celle de Baudelaire, conséquence de cinquante ans de
lavage de cerveau audiovisuel).
La réalisatrice confond
cinématographie et climatologie, temps dilaté à la Cassavetes et langueur
d’indigence, art du récit sensoriel avec un pensum
méditatif lesté de lieux communs existentiels. Still the Water, avec sa
morale d’insertion (dans le « cycle de la vie », dirait en VO le Roi
lion de Disney), de transmission (lien spirituel, surnaturel, de mère en
fille), de consolation (le trépas en pur passage vers l’éternité domestique et
divine de l’au-delà, amen), ignore la
portée disons révolutionnaire du mélodrame (Sirk + Fassbinder) et constitue un bréviaire conservateur de
neutralité, « d’humilité » (suprême arrogance de la soumission,
dérisoire prêt-à-penser formulé par un surfeur veuf, en écho aux tirades New Age de Patrick Swayze dans Point
Break, l’involontaire comédie gay
friendly de Kathryn Bigelow), notamment face à la puissance de la nature, au « mystère » des femmes (hors
d’atteinte des hommes, bien sûr, a
fortiori si prisonnier d’un drame
œdipien poussiéreux, puisque Kaito, effarouché par les amants tatoués de sa
maman « démissionnaire », ne lira jamais l’éprouvant et poignant Ma
mère de Georges Bataille). Pire, la leçon lycéenne, incarnée,
verbalisée par un personnage âgé de pêcheur-égorgeur, outre résonner avec la
mélasse sucrée hollywoodienne (industrie totalitaire friande de performances en
soins palliatifs à l’approche des Oscars), se voit administrée par une caméra
parkinsonienne, comme s’il suffisait de se planter en tremblotant devant des
acteurs satisfaisants pour faire advenir la vie, la capturer avec vérité,
majesté, simplicité.
La séquence de (transe) danse
(d’août) macabre, joyeuse (solidarité de la communauté sinon désespérément
absente, réduite à des bribes cérémonielles en incipit) et triste (larmes souriantes du mari) représente l’acmé
autant que la caricature de cette démarche esthétique et religieuse
(transcendance dans l’immanence, prière à l’univers). La chamane rend l’âme au
son d’une chanson sentimentale, son corps cancéreux, alité, livide, sa gamine
sidérée, elle voit sa propre génitrice venir la chercher, régresse vocalement à
l’instar de Geneviève Bujold dans Obsession – on peut certes trouver
tout cela bouleversant et salutaire, exposition contradictoire d’énergie et
d’épuisement (« néant et sérénité », pour user du lexique
diégétique), en relecture de la danse à plusieurs (mémorable et réussie), pluvieuse
et ensoleillée, du longuet Shara, similaire « film de
fantômes » (cf. les inserts subjectifs dans la cuisine) naturalisés par un regard tendu, à l’affût, très voyant dans sa
volonté d’immortaliser l’instant, de le sursignifier avec des dialogues à faire
passer ceux d’Antonioni pour des modèles de légèreté ludique. On peut également
juger l’ensemble assez dégueulasse, en démonstration préméditée de « chantage
émotionnel » (vous ne pleurez pas ? Vous voici un salaud sans cœur.
Vous ne succombez pas à la foi ? Vous voilà un mécréant inhumain). N’en
déplaise à Madame Kawase, la mort, surtout en Occident, cela sent souvent l’hôpital,
les médicaments, la solitude et les excréments, certainement pas les embruns, le feu de bois sur une plage ni les pâtes au poulpe.
Mais la cinéaste, entièrement
dévouée à elle-même, à son opus magnum de festival étranger sudiste et
bourgeois, ne se soucie en aucune façon de laisser respirer ses personnages (leitmotiv lunaire, typhon avorté), de
leur mettre dans la bouche autre chose que des tirades puériles sur le « sens
de la vie », en quadragénaire naïve malgré un arrière-plan
autobiographique quasi identique à
celui de Moretti (que nos mères bien-aimées, si peu et si mal aimées, crèvent
en paix, débarrassées du désolant mausolée d’un film inutile). Rien de bien
grave, à vrai dire, le monde continuera à tourner, l’auteur aussi, récoltera,
qui sait, un troisième FIPRESCI en nous infligeant un ersatz de l’ignoble Oscar
et la Dame rose de Monsieur Éric-Emmanuel Schmitt, ouvrage épistolaire accessoirement
recommandé par notre éducation hexagonale, ou les joies enfantines d’avoir un
cancer à la saccharine. Dans cet océan de suffisance surnagent certes – méritoire
objectivité – des moments ou des motifs intéressants, promenade à deux à
vélo sur un piano solo, cadavre marin et masculin, entrelac d’autoroutes en
rime aux branchages du banian ancestral (un article à rédiger, ou pas, sur la
chronologie relative des arbres, avec le séquoia de Sueurs froides et l’arbre
arty de The Tree of Life), des routes
vertes désertes et ondulées, des mains maternelles faiblement agitées pour
suivre le mouvement du clan, la sensualité organique d’une géographie
culturellement métaphorique de la féminité, la « première fois » dans
une sorte de mangrove aux troncs noircis contre la peau mate des jeunes amants.
Hélas, tout se dissout dans la pauvreté du propos et du discours (séparation
théorique, pragmatique, de la forme et du fond, associés ici dans la pose).
Alors que l’artiste affirmait vouloir
nos faire percevoir, ouvrir, la « seconde fenêtre » du titre
original, celle donnant sur l’intériorité, la divinité, la stabilité
(mysticisme scopique et résilient rappelant le Caché derrière de Laurent Voulzy), Still
the Water (notez l’emphase à double sens du titre international) se
termine joliment et minablement, dans une minable joliesse au croisement de Splash
et du Grand Bleu, avec baignade nue (auparavant, bain en uniforme scolaire,
sans doute en symbole tout aussi scolaire d’indépendance, de marginalité, d’affirmation personnelle faussement surréaliste) et toisons pubiennes non floutées (contrairement
au X nippon pudibond), dans une coda à la Cousteau dégoulinant de jeunisme et
de contentement de soi, jusqu’à l’écran blanc (du bout du tunnel aveuglant des
NDE ?) méta (double acception) aussitôt paraphé par la calligraphie des
caractères kanji. Après le « mal de mer » d’une réalisation privée de
vrai point de vue à force de colossale discrétion, survient la renaissance
maritime, édénique, des ados-dieux sur le point de croître et multiplier, de
reproduire la malédiction des mortels, ballet à la grâce publicitaire au sein
de la matrice « vivante » et première. La bluette simplette et
malhonnête s’achève, nous achève, et l’on noiera vite ce Japon-là, autarcique
(séquence tokyoïte touristique, superfétatoire) et narcissique (se regarder
filmer au lieu de filmer autrui, un bord de pays) dans l’oubli, dans les
abysses et dans l’abîme des insipides billevesées assemblées par Naomi Kawase.
Commentaires
Enregistrer un commentaire