Raphaël ou le Débauché (1971) : Cela s’appelle l’aurore
Aux hommes la mélancolie, aux femmes la (sur)vie…
Merci Jacqueline
Nietzsche ordonnait de danser sa
vie ; aussi funambule que le Zarathoustra du philosophe, qui estimait
l’Homme comme une « corde tendue au-dessus de l’abîme entre l’animal et le
Surhumain », hein, Raphaël ne souhaite « penser qu’à ses pieds »,
finira fissa flingué, son suicide en rime à celui de son Aurore adorée, in extremis et sans malice mal mariée. À
revoir à l’invitation d’une artiste amie ce film, l’un des meilleurs du
réalisateur Michel Deville, jadis découvert durant l’adolescence, on sourit de
connivence et s’émeut à nouveau devant le mélodrame rempli de charme, écrit
avec esprit et monté avec doigté par l’incontournable Nina Companeez, quels
rôles en or, selon deux interprétations d’exception, la fascinante Françoise
Fabian et l’irrésistible Maurice Ronet en superbe couple en déroute. Costumé
par l’experte italienne Gitt Magrini, partenaire d’Antonioni & Bertolucci, Lado
& Truffaut, Demy & Richards, produit par Mag Bodard, audacieuse
collaboratrice de Jacques en play-back à Cherbourg et Rochefort, musiqué par
des extraits d’opéras, Bellini parfois ressemble à Rota, ponctué par les caméos
de Mesdemoiselles Fossey & Wiazemsky, Raphaël ou le Débauché entendait se
situer au siècle dernier, cependant il documentait le désenchantement du temps,
seventies décisives et déceptives,
pour de vrai, au ciné, époque d’excès, de sexe, de tendresse, de détresse,
(re)lisez mon petit essai à propos de la pornographie, intitulé, point
prétexte, L’Empire de la tristesse. Dans le sillage du dispensable L’Ours
et la Poupée (1970), autre duo, de Jean-Pierre Cassel & Brigitte
Bardot, l’estimable cinéaste fait disons
table rase, ose l’apologue, le dialogue de l’égoïsme et de l’altruisme, du vice
et de la vertu, de la perdition et de la pureté.
S’ils ne pratiquent le mysticisme autodestructeur
de l’éprouvant roman Histoire d’O, Raphaël se fait fouetter
par une prostituée parfumée, Aurore, presque topless, prie et se brûle le poignet à la bougie, sacrifice domestique
dont se souviendra John Savage épris de Nastassja Kinski (Maria’s Lovers, Andreï
Kontchalovski, 1984). Quant à leur amour illimité, irraisonné, contrarié,
commercialisé, Françoise se fait gifler, se fait baiser, elle s’étourdit, elle
s’avilit, il annonce bien sûr la passion, majuscule optionnelle, de l’héroïne
trop pure de Breaking the Waves (Lars von Trier, 1996). Pourtant pas
d’assomption ici, pas non plus un soupçon d’ironie, de transcendance de
circonstance, une fois dépassés tous les outrages et les dommages d’une
immanence assumée. A contrario du
Danois à demi-catho, à demi-narquois, Deville ne rédime ses amants se
poursuivant puis s’évitant, voire l’inverse. Laïc et empathique, il magnifie en
musique leur seul et bouleversant baiser, sommet agenouillé d’érotisme et de
lyrisme. Et tout cela ne suffit pas, puisque Raphaël ou le Débauché
s’avère de surcroît une réflexion sur la (les) représentation(s), sur le
cinéma, un renversement de Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958). Du
côté de Frisco, pas de bal ni de bordel, certes, nonobstant déjà de l’idéalisme
et du dédoublement. Raphaël infantilise Aurore, la traite, attristé, déçu,
magnanime, de « petite mule », ne veut voir en elle son fidèle reflet
d’épave désespérée. Aurore, maîtresse femme à mépris, à philanthropie, veuve
consolée, à cousines gourgandines, se change de le changer, de l’aimer
démasqué. Mais l’été se termine, le soleil se lève et se fiche de ses
spectatrices, des cavaliers avinés, sinistrement gais, les cœurs et les corps
se lassent d’autrui, des orgies.
On souffre avec Raphaël, on y croit
encore avec Aurore, on sait toutefois que ces deux-là manquent de réalisme,
qu’ils pourraient au moins essayer, peut-être réussir, d’ensemble se construire
un avenir, les contraires s’attirent, la (volonté de) puissance peut procéder
du pire. Hélas, rétif à la diplomatie du compromis, à la lucidité apaisée, à la
création partagée, le romantisme sombre des sentiments ou de la cinéphilie
préfère la chute définitive, depuis un clocher chez Hitch, depuis un poteau
chez Deville. Tandis que la dichotomie d’Aurore s’affiche en figurations à la
con, sainte ou salope, inaccessible ou camelote, le spleen intime de Raphaël formalise au fond un refus du réel, de
cesser d’être obsédé par l’idée du décès à déjouer. Il ne sert à rien de « tuer
le temps », il vous tue, bien entendu, ni de le passer à se préserver des supposées
impuretés de l’espèce, de la société, sinon à désirer les redresser, les
rassurer, pitié à danger, dirait Zweig, sollicitude pas si désintéressée,
assortie d’arrogance et de bonne conscience. Dans Raphaël ou le Débauché,
la sincérité dispose du simulacre, la pendaison de la cantatrice s’apparente à
une sortie de théâtre, missive explicative en prime, une catin lesbienne un
brin s’habille en type, les amoureux malheureux s’amusent à la messe matinale,
le proprio à pied bot rentabilise ses taudis, le viol s’envole, revient et
s’accepte par procuration, par profanation, amitiés aux féministes fumistes. Comme chez Beaumarchais & Musset, les
noces doivent se dérouler, coda de décorum dansé. Il restait au rouge Maurice
quelque chose à dire, à déclarer, à la livide Aurore, il reste à celle-ci l’impossibilité
d’oublier le visage d’un naufrage, doté d’une réversible vérité.
Élégant, attachant, brûlant et
refroidissant, le film musical de Michel Deville résiste à cinq décennies et
persiste à nous parler au présent de notre tropisme de cynisme et de sentimentalisme,
d’illusion et de désillusion, d’adoration et de déréliction. Une œuvre
d’avant ? Un testament de maintenant.
Grand merci pour la dédicace inscrite dans un fort beau billet.
RépondreSupprimerLa peau de chagrin-d'après Honoré de Balzac INA "les inédits fantastiques".
https://www.youtube.com/watch?v=UdPavQaY8Q0
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Peau_de_chagrin_(t%C3%A9l%C3%A9film,_2010)
https://www.dailymotion.com/video/xf1dvz
Michel Brix - "La Peau de chagrin". Balzac et la hantise du vieillissement
https://www.youtube.com/watch?v=f-8ZZ9TGb6I&list=PLv95GWqybpc3OeS-Pz2yMsfjZC8Zt6dfN&index=13
https://www.youtube.com/watch?v=jp7xAM-ZCCg
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=Ub3qQpDXRx8
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/12/fedora-persona.html
http://www.litteratureaudio.com/textes/La_Patte_de_Singe.pdf
https://en.wikipedia.org/wiki/The_Monkey%27s_Paw
https://en.wikipedia.org/wiki/Slave_of_Desire
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=h4PC0DoEY8g
SupprimerDavid Coverdale - "Slave" (Into the Light, 2000)
Supprimerhttp://jacquelinewaechter.blogspot.com/2010/05/lead-me-on-thro-restless-waters.html