Le Chat à neuf queues

 

Notes ad hoc sur la BO du Dernier Tango

On peut penser du modéré mal de l’homonyme et masculin mélodrame commis par le défunt et fourbe Bernardo Bertolucci, souvent réduit dans le souvenir collectif, mauvais signe, à une trop célèbre scène de beurrée sodomie, bon appétit, ma chérie, ma Maria (Schneider) démunie, toutefois la musique du film s’avère une vivante réussite. Certes il ne s’agit pas ici de déposséder le sieur Gato Barbieri de son sens de la composition ni de l’exécution, ah, c/ses petits cris à la Keith Jarrett, mais d’affirmer que l’album majeur doit aussi beaucoup au labeur d’arrangeur et de directeur de l’éphémère car cardiaque, voire stakhanoviste, Oliver Nelson. Ce soundtrack immersif captive l’écoute parce qu’il capture l’acoustique, délocalise et ressuscite un style puissant et subtil, à l’instar du compatriote et contemporain Astor Piazzolla. Ces deux hommes-là, d’ailleurs et de là-bas, ne révolutionnent rien et pourtant transcendent chaque instant, en saxophoniste ténor ou en bandonéoniste en or, tout sauf rétifs à l’accompagnement d’orchestre guère obsolète, loin du hollywoodien. Des tangos dédiés à Brando & Bernardo émanent ainsi une stimulante mélancolie, une élégance d’urgence, un désir de s’enflammer à proximité du pire, de se noyer pour de faux, pour de vrai, flanqué d’une flingueuse et Fake Ophelia, oui-da. En 1976 sortira Black Widow, ou le disco selon Lalo (Schifrin), autre compatriote et même partenaire du maestro Gato ; dès 1972, Barbieri adoube sa Girl in Black à lui… Comme le Jerry Fielding de Scorpio (Michael Winner, 1973), le musicien sait en sus s’emparer de l’accordéon à la con, élément et non instrument médiocre, puisque usé jusqu’à la corde, symbole supposé d’une insaisissable parisianité, de son chic romantique (a)perçu d’outre-Atlantique, pour en faire le fer de lance d’une sorte de transe, de tristesse tissée à la douceur du sexe, valsant avec les lents mouvements, les lancinants élancements. Le disque délicat et direct, donnant la sensation de se dérouler en direct, donne-t-il envie de s’accoupler au carré, de se livrer en rythme au Love on the Beat, amitiés goguenardes à Serge Gainsbourg, mon amour ? Bien sûr, pas d’imposture, plutôt un appel à la luxure, à l’immanent incandescent du no future, tropisme d’époque, lyrisme sensuel et cruel des seventies – cependant davantage. En onze morceaux, en autant d’étonnants tangos, se dessine une odyssée sensorielle, existentielle, dont la générosité de festin, nu, malvenu ou mal vu, ne se dispense d’une dimension de destin, évidemment point serein. Paul appelait sa némésis d’anonyme maîtresse au no names, alors on ne citera les noms du personnel de l’opus, collaborateurs de talent nonobstant. Usité par le cinéaste à la sauce Godard, donc déconstructiviste, le chef-d’œuvre increvable et presque incroyable de Gato Barbieri résiste à cinq décennies et ranime notre modernité dépressive…

Commentaires

  1. Très beau billet sensuel qui souligne avec élégance le côté incandescent, ensorcelant, envoûtant de "l'opus Bo du Dernier Tango à Paris" qui transcende le mélomane...

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    1. Du reste et de ceci merci, laudatrice Jacqueline...
      BO du Gato, mais moins connue (L'Arme au poing, Michael Winner, 1979) :
      https://www.youtube.com/watch?v=sxDwiD5VaeE
      Autre écho d'un autre maestro, auquel emprunter le titre de l'article :
      https://www.youtube.com/watch?v=UDEGcyE-_i0

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    2. Merci pour le partage de ces liens, beaucoup de découvertes pour moi...
      Autre reflet musical sensuel désespéré mais pourtant généreux et vitalisant : JEAN GUIDONI Midi-minuit
      https://www.youtube.com/watch?v=rI3UKU_9YSM

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    3. https://www.lesinfluences.fr/2014/04/19/midi-minuit-fantastique-renait-de/
      https://www.youtube.com/watch?v=DX57BIDaySw

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    4. Ah ces petits cinémas fantastiques de quartiers, quasi tous disparus...
      Dans un autre genre quoique, cela me fait penser de nouveau à ce film de Jan Bucquoy, ce réalisateur belge "sentimental en colère "Camping Cosmos...
      J'avais accompagné au temps de sa sortie limitée à quelques salles parisiennes un ami fan du chanteur Arno, c'était pas triste, l'ami en question étant un peu bc-bg...immergé pantois dans une salle du côté de la gare Saint-Lazare où il n'y avait que des hommes qui s'ennuyaient car ils étaient venus uniquement pour Lolo Ferrari...Surréaliste et décadent...

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    5. Cinéma méta un brin berlusconien + sidérés spectateurs assiégés de l'intérieur : les tombeaux d'Artaud repeints en profondo rosso, tendance Dario Argento, par la terreur transalpine...
      https://www.youtube.com/watch?v=pLpBwG5pEKc
      https://www.youtube.com/watch?v=1hkspAW-r-0

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