La Môme vert-de-gris

 

Un métrage, une image : La Fille de Hambourg (1958)

Par et pour Jacqueline

Ils boivent à la santé

Des putains d’Amsterdam

De Hambourg ou d’ailleurs

Enfin ils boivent aux dames

Brel

Bientôt pornographe, le réputé Bénazéraf imagine un moment minuté, à réveil envolé, à manteau démodé, d’amitié tourmentée. Comme dans le contemporain Sueurs froides (Hitchcock, 1958), un idéaliste triste souhaite ressusciter le passé ripoliné, périt en proie à l’impitoyable « principe de réalité ». Le cinéaste anglais relisait Eurydice & Orphée ; l’estimable Allégret ne se moque de Tristan und Isolde. En coda, Maria se suicide aux somnifères, s’endort du « grand sommeil » en souriant, son amour invisible serrant, pendant que Pierre décède sur son palier, à quelques centimètres à peine de la porte bouclée. Auparavant, instant assez superbe et poignant, en sus symbolique, sinon didactique, il épongeait, contre son gré, la catcheuse malheureuse et boueuse, un brin putain, Deux filles au tapis (Aldrich, 1981) rencontre Fort Boyard, vous croyez au hasard ? Au ciné, a fortiori français, on sait le poids du Destin, au moins depuis Gabin, Pépé embrumé, à jamais à quai. Gélin, enfantin, fiché au creux heureux d’une épaule plus maternelle que sensuelle, toutefois fondez, enfiévré baiser, ne comprend que port rime avec mort. Conduit dès l’introduction à se voir offrir puis ensuite fumer des cigarettes de « condamné », en effet, il incarne, talent et tact coutumiers, le naufrage figé d’une certaine virilité, pas seulement par la guerre traumatisée. Ses poteaux plutôt lourdauds vont vite voir en vitrine les vénales locales, finissent par s’enfuir, s’en sortir, pas Daniel ni Hildegard, couple en déroute, sur fond de reconstruction municipale et de trafic d’armes. La police persiste, presque gestapiste, la déprime fait de nouvelles victimes, la mémoire se regarde au miroir du désespoir. Ni Les assassins sont parmi nous (Staudte, 1946), ni Dédée d’Anvers (Allégret, 1948), La Fille de Hambourg séduit en mélodrame de douane, s’ouvre via une voix off de fantôme, dispose d’une dispute très découpée, appréciez la progression jusqu’aux gros plans désarmants, d’une serviette abjecte, à punir une prostituée dévalisée, rime aux oranges enroulées d’Anjelica Huston (Les Arnaqueurs, Frears, 1990), d’un taxi driver pourvu d’un cœur. Pris au piège du stérile ressassement, l’ex-prisonnier français marié se tache à la Lang et s’efface en silence…         

Commentaires

  1. Merci pour ce délicat très beau billet à reflets références, où la lecture attentive laisse poindre une forme d'émotion retenue toute personnelle, peut-être que Dard tâcheron du scénario tout sauf serein relativement à ce film aurait changé son jugement négatif relativement à cet opus, la lumière nocturne dans le port est assez sublime, et l'histoire pourrait faire office de métaphore, deux nations "idéalistes et romantiques"lancées dans une guerre à mort et manipulées par des maquereaux de la finance..., ambiance glauque garantie, le bain de boue et le lit princier de la dame font assez contrastre pour faire ressentir toute la tragédie de l'existence, entre rêve et réalité,... même si celle-ci a des aspects parfois fantastiques. Lefebvre en rêveur patenté des charmes de madame Mercedes version confort à l'allemande et comme un pierrot lunaire presqu'incongru au milieu de tout ce "bordel".
    Allez trinquons encore une fois comme dirait le (Frère) grand Jacques
    où le Roger en version Ferré ou Arno l'os-tendu...
    en chantant ..."Ni gris, ni verts
    Ni gris, ni verts
    Comme à Ostende
    Et comm'partout
    Quand sur la ville
    Tombe la pluie
    Et qu'on s'demande
    Si c'est utile
    Et puis surtout
    Si ça vaut l'coup
    Si ça vaut l'coup
    D'vivre sa vie!..."
    Grand merci pour la charmante dédicace !

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    Réponses
    1. Merci à vous de l'invitation et de la distraction...
      Même documenté, Dard, dit-on, le (se) détestait, en effet ; toutefois, Flaubert préférait Salammbô à Madame Bovary (moi aussi), eh oui ; romantisme antique ou germanique, amen...
      Fidèle de Duvivier, le DP Armand Thirard sortait du Salaire de la peur (Clouzot, 1953), Les Diaboliques (HGC, 1955), Voici le temps des assassins (Duvivier, 1956) ou, en couleurs, en sueur, Et Dieu... créa la femme (Vadim, idem)...
      Dans l'anecdotique mais sympathique Un idiot à Paris (Korber, 1967), Lefebvre, promu "premier rôle", cueillait la fleur, forcément du pavé, de la conquise Dany Carrel puis la (trans)plantait parmi son natal et rural Allier...
      Et ce titre logique de Piaf, tout sauf dégueulasse, où Marguerite Monnot imite presque Kurt Weill :
      https://www.youtube.com/watch?v=o7aMPnuGVoA

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    2. Merci pour la réponse agrémentée d'intéressants liens en partage .
      Les Pitard, un roman de Georges Simenon, paru en 1935.
      " Ne fais pas trop le malin. Quelqu'un qui sait ce qu'il dit t'annonce que le Tonnerre de Dieu n'arrivera pas à bon port. Ce quelqu'un a bien l'honneur de te saluer et de dire le bonjour à Mathilde. " Qui a bien pu écrire ces lignes couchées sur une feuille de mauvais papier qu'Émile vient de trouver dans sa cabine ? Qui ose lui gâcher son plaisir alors qu'il vient tout juste d'acheter son cargo après des années de labeur ? Et pourquoi mentionner Mathilde, son épouse ? Comment expliquer qu'Émile se sente à ce point surveillé alors que rien ne va comme prévu ?... Un farceur sûrement... Oui, c'est cela, un farceur... Mais de la farce au drame, il n'y a parfois qu'un pas..."

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