Drôle de drame, Hôtel du Nord, Les Assassins de l’ordre : Vous connaissez Marcel Carné ?

 

Suite à leur visionnage sur le site d’ARTE, retour sur trois titres de l’auteur.

  • Drôle de drame (1937)

Déjà Jaubert, ses notes de L’Atalante (Jean Vigo, 1934), réentendues au début de Hôtel du Nord (1938) ; déjà Eugen Schüfftan (Le Quai des brumes, 1938), à la lumière, à l’obscurité, en trio avec Louis Page, régulier de Grémillon, Henri Alekan, bientôt au côté de Cocteau (La Belle et la Bête, 1946) ; déjà Jean-Pierre Aumont, en prison. On compte Prévert & Trauner, on calcule une screwball comedy, au rythme un brin rassis. Les ouvrages si sages, si soignés, du classique Carné, se caractérisent par des troupes dépourvues d’entourloupe, par une précision propice à l’émotion mesurée, fi d’effusions déplacées. Drôle de drame démarre un tandem « remarquablement remarquable », résume l’inspecteur opportuniste, a fortiori fumiste, il abonde en bilinguisme de surprenantes surimpressions, comme si persistait l’époque des doubles versions. Adapté d’un polar anglais, il donne déjà au suave Jouvet, costumé en évêque à virer puis en Écossais enfermé à clé, l’occasion de critiquer « l’atmosphère », générale et particulière. Le récit de vrai-faux assassinat, au tueur sympa, être boucher, quelle cruelle idée, implique en plus un laitier les oreilles appréciant tirer, implique une toile peinte portuaire à la Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock, 1964) au creux d’un « quartier chinois », aux représentants de maintenant, autoproclamés, des minorités, assurément il déplaira. Imbibés bien avant Brel & Haudepin, Barrault & Simon s’opposent et se complètent à l’unisson. L’héritière vénère n’en revient pas du trépas à quatre pattes de sa Canada, le rêve mène l’enquête, dommage pour le Dupin cartésien de Poe, ça ressuscite, ça s’agite, la foule finit par s’impatienter, présente ses respects, condoléances de manigances, file lyncher l’insaisissable serial killer à dénudé fessier. En vérité, rien de réellement « bizarre » au sein du traquenard, du canular, à l’anarchisme inoffensif, à l’esprit libertaire d’hier, satire soft, le monde s’amuse, ment, s’en sort, à temps…                          

  • Hôtel du Nord (1938)

Travelling avant, travelling arrière, suicide raté, suicide réussi : Carné carbure donc à la dédoublée boucle bouclée, au chromo de huis clos, au statu quo de studio, en dépit d’une poignée de plans ensoleillés, in situ situés. Ni réaliste ni poétique, voici vite une chronique tragi-comique, qui revisite le romantique exil impossible du Quai des brumes (1938) et au présent, pas au passé, envisage le naufrage du Jour se lève (1939), titre repris de l’une des dernières répliques. N’en déplaise au principal intéressé, déplorant leur « pittoresque outré », les dialogues de Jeanson tiennent bon, octogénaires remplis d’air et non mots d’auteur de m’as-tu-vu amateur. Déclamés par un casting choral impeccable, mention spéciale au divisé Jouvet, maquereau amoureux, guitariste hygiéniste, ils animent sans outrages un joli livre d’images, éclairé avec doigté par le DP Armand Thirard, fidèle de Duvivier. Entre communion collégiale et fête nationale, le cinéaste ne démontre pas une seule seconde une quelconque maestria architecturale, une convaincante clairvoyance sociale, par exemple celles du Lang de M le maudit (1931), pardi. Presque privé de dehors, le décor demeure à prendre tel quel, comme encore un décor de l’expert Trauner, où accompagner de couples en déroute une paire. La misère toujours glamour, mon amour, se solde au pistolet, se rédime in extremis la « lâcheté » grillagée, leçon adoubée selon Bresson (Pickpocket, 1959), la guerre espagnole se réduit à un orphelin enfui de Barcelone, occasion de souligner en sourdine la xénophobie hexagonale du policier aussi perturbé par la présence d’un juvénile François Périer, déguisé en « petit pédé », je cite Emmanuelle Seigner, par son petit Polanski surplombée, duo en stéréo à rendre furieux les féministes et le lobby LGBT, olé, en sus en employé de confiserie, fichtre. Carné, lui-même homosexuel, secret de Polichinelle, ne manie le militantisme, esquisse le personnage de manière naturelle, amen

  • Les Assassins de l’ordre (1971)

Commencé en soft focus, Jean Badal s’en charge, entre Playtime (1967) de Tati et Good-bye, Emmanuelle (1978) de Leterrier, ah ouais, ce « film de procès » possède de brèves ponctuations musicales empruntées à Pierre Henry & Michel Colombier. Mais Carné, qui décalque Cayatte, au lieu d’à Noël célébrer une Messe pour le temps présent, signe plutôt un requiem sudiste pour la justice, cet « équilibre de mensonges », dixit le juge trop juste, peut-être pas assez justicier, sinon en compagnie de son fiston alcoolisé, ersatz de western nocturne, en colère. À la place d’Aurenche, le scénariste de Hôtel du Nord (1938), par le fielleux Truffaut pas encore mis à mort, voilà Paul Andréota, collaborateur de Christian-Jaque (La Tulipe noire, 1964 ou La Seconde Vérité, 1966) & Brel lui-même, cf. Franz (1971). Différence de ton, donc, il suffit de comparer la prostituée d’Arletty, indocile, à celle de Catherine Rouvel, citoyenne. Co-production franco-italienne oblige, on enrôle pour un petit rôle, à recelées babioles, la transalpine Paola Pitagora, antiquaire en proie au despair, puisque menacée d’une expulsion de machination. En effet, notre fonctionnaire « fonctionne », il risque de fissa dysfonctionner, soumis à l’insoutenable « pression » de trois ripoux très relous, dont l’un ancien d’Indochine et d’Algérie, pas vu, pas pris, davantage médaillé. Roland Lesaffre, ami intime de Marcel, motocycliste némésis de Thérèse Raquin (1953), se réinvente ici en martyr de repentir, victime rapide de la brutalité autorisée, sinon institutionnalisée, la fin justifie les moyens malsains, hein ? Ni anti-flic ni pro-étudiant, pas un seul instant, le réalisateur ne joue au gauchiste agitateur, il observe avec réserve, un didactisme assumé, la chronique d’un décès annoncé, celui de la vérité, par ricochet de la dignité, de la liberté, « mots à majuscule » donnant « l’air un peu con » rien qu’à les prononcer, on le sait. Daté, d’actualité, l’avertissement ainsi met en scène cynisme et idéalisme…

Commentaires

  1. "Le 21 avril 1939, Roger Martin du Gard écrit à Béatrice Appia :
    « J'ai vu le film Hôtel du Nord. J'ai passablement souffert. Cela, était-ce utile ? (Le nom de Dabit n'était même pas sur le programme !) »
    https://www.thyssens.com/03notices-bio/dabit_e.php

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    1. L'article disparaît, paraît-il la fidélité à Dabit en partie aussi...

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    2. Ce matin en effet ce site semble être inaccessible et c'est fort dommage tant le propos était imagé, étayé et nourrissant question littérature histoire et cinéma...

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    3. Je pensais plutôt à l'article défini du roman, supprimé sur grand écran...

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