Chaînes conjugales

 

Un métrage, une image : Adorables créatures (1952)

En découvrant en version restaurée ce divertissement d’un autre temps, on sourit et on rit souvent, à l’instar de son anti-héros guère miso, même un peu miro, « doudou Dédé » séducteur idéaliste dessinateur de soutifs façon Sueurs froides (Alfred Hitchcock, 1958), mec « moyen » auquel Daniel Gélin sait aussi accorder avec subtilité sa mélancolie au masculin. Co-écrit par Jacques Companéez, le scénariste du contemporain Casque d’or (Jacques Becker, 1952), d’accord, Adorables créatures aux dialogues de Charles Spaak carbure, par conséquent leur constante ironie ne possède l’acidité d’un Jeanson, le chaos d’un Clouzot ; on s’amuse plus que l’on ne se moque, on ne cède au cynisme ni ne succombe à l’anecdote. Précédé d’un prologue surprenant et pertinent, tant pis pour la « script-girl » qui dut tirer la gueule, muni d’un « commentaire » que déclame le malin Claude Dauphin, voix off tout sauf morose, quasi à la Guitry, le presque « film à sketches », d’ailleurs co-produit en compagnie de l’Italie, retour en arrière débonnaire de boucle bouclée d’alliances élancées, se compose donc de trois parties, dont la dernière s’avère vite la plus réussie, parce qu’elle inclut soudain, en sourdine, une cruauté sexuée, une gravité lestée de légèreté. Si Danielle Darrieux & Martine Carol ne déméritent, caracolent, de leur beauté, de leur sensualité similaires et différenciées, de leur talent évident, aussi éclatant que leurs dents, on raffole, on s’affole, Edwige Feuillère, en philanthrope altière, en mécène héritière, en actrice capable de se miroiter, de s’égratigner, cf. la réplique du jury des jambes en public, d’insulter d’un irrésistible « petite salope » sa sauvée secrétaire, en vérité vénère, conquiert le cœur du spectateur, déjà réjoui par sa directrice trop complice, un brin lesbien, du valeureux Olivia (Jacqueline Audry, 1950). Artisan élégant, cinéaste au style classique assez stimulant, Christian-Jaque, ici flanqué des fidèles Christian Matras à la direction de la photographie, Georges Van Parys à la musique, ne se limite aux archétypes, à ce tiercé assumé, décomplexé, de femmes à fric : il soigne ses esquisses de classes, d’âges, de conditions et d’émotions, au service de et bien servi selon Marilyn Buferd, Renée Faure, Giovanna Galletti, Marie Glory, Antonella Lualdi. Titré en italien Quando le donne amano, Adorables créatures constitue en résumé une comédie encore en vie, un marivaudage dénué de dommages, une accumulation de couples en déroute et pourtant survivants, coûte que coûte. Film féminin à défaut de féministe, l’item estimable n’omet des hommes aimables, de fait dé/surpassés par leurs impitoyables compagnes, mentions spéciales à Georges Tourreil & Louis Seigner. En définitive, le « deuxième sexe » savoure sa victoire sans conteste, en contexte, leçon alerte…        

Commentaires

  1. Bien joli ce billet en forme d'hommage à ces dames à croquer comme des fruits murs...
    Dans la veine d'un homme qui se remémore une figure aimée, le racé fier et romantique Bernard Noël, l'acteur pas le poète homonyme, quoique...
    Un choix d'assassins, film avec Bernard Noël
    https://www.youtube.com/watch?v=UNAaB_OwFAU&list=LL&index=2

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    1. Comme en écho :
      https://www.youtube.com/watch?v=uU2xhRYeJa8
      Goraguer et naguère :
      https://www.youtube.com/watch?v=OwU_snlvopI
      https://www.youtube.com/watch?v=S6j4GHkwQq4
      https://www.youtube.com/watch?v=FipCapdBInc
      Maria ou Lea :
      https://www.youtube.com/watch?v=cS-m5aNC3I4
      Laloux itou :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2017/06/la-planete-sauvage-le-dernier-des-hommes.html

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    2. Grand merci pour le partage de ces liens, musique exquise, films et acteurs inoubliables...Pour en revenir au thème du billet soit le film Adorables Créatures (1952) il y a quelque peu de la Physiologie du Mariage (1829) ou méditations de philosophie éclectique, sur le bonheur et le malheur conjugal, publiées par un jeune célibataire, chez Levavasseur et Urbain Canel. Balzac en son jeune temps n'avait-il pas sa Laure, même prénom que sa mère et de deux ans plus âgée qu'elle !, et qui fut sa grande initiatrice dans les usages du monde, des lettres et du secret des alcôves ...

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    3. Amours maternelles :
      https://www.babelio.com/livres/Bataille-Ma-mere/8078

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    4. "De joutes barbares en comédies familiales, il s’agit d’en découdre avec l’Exil, avec l’épuisement de vivre en état de lutte permanente et excessive dans un monde où « tout le monde joue la comédie ».
      https://jacquelinewaechter.blogspot.com/2021/08/copi-le-visionnaire.html?view=magazine

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