Lady Frankenstein : Les Orgueilleux


La satanée Tania fera de toi un pantin spolié de son corps, némésis d’amour à mort.


« Death is my life » : seul Joseph Cotten pouvait proférer cette réplique over the top sans sombrer aussitôt dans le risible et Lady Frankenstein enregistre sa fatigue, sa vieillesse, sa Fin de partie à la Samuel Beckett, avec moins de générosité, d’humour, de flamboyance qu’un Mario Bava presque au même endroit. Le voici dirigé en 1971 par un émule anonyme de Roger Corman, qui d’ailleurs co-produit via New World Pictures. D’un Welles à l’autre, Jo troque Orson contre Mel et rencontre en Italie l’incendiaire trentenaire Rosalba Neri, consœur et concurrente d’Edwige Fenech. Le baron nécrophile possédait donc une fille, cf. l’explicite titre transalpin, on l’ignorait, on peut trouver ceci très logique, surtout connaissant le féminisme de Mary Shelley. Chirurgienne diplômée, la figlia orpheline veut illico reprendre les travaux impies de son paternel trépassé en pietà. Avec l’aide d’un assistant énamouré, le solide Paul Müller, elle s’empressera d’occire la première créature, pure machine à tuer dotée d’un hypothalamus imparfait, tant pis, elle transvasera le cerveau de son clément amant dans le crâne de son sex toy grandeur nature, un retardé mental, merci papa, épris d’animaux, étouffé par un oreiller, recherché par sa sœur flanquée du flic Mickey Hargitay, ancien intime de Jayne Mansfield. Au terme d’une heure trente, Tania et Charles finissent dans les flammes de leur passion funeste, épiés par le couple précité, en train de copuler, de s’étrangler, de succomber au foyer déclenché par la populace excitée par une poignée d’assassinats sidérants, dont celui d’une gourgandine nue balancée à la flotte par le colosse à tête d’œuf brouillé, en rime amusante et outrageante à la noyade malencontreuse et scandaleuse de la gamine magnanime chez l’indépassable et suprême James Whale.




Comme dans Le Docteur et les Assassins de Freddie Francis à venir, le toubib se fournit en cadavres frais auprès de types patibulaires promis à une exécution de saison, appréciez s’il vous plaît la pendaison par le puits, assez inédite, longtemps avant que la Yamamura Sadako de Ring n’y élise son maudit fardeau. Dans Lady Frankenstein, Marino Masé, éloigné de Jean-Luc Godard, Luchino Visconti, Dino Risi, Peter Greenaway, Francis Ford Coppola ou Manuel Pradal, rapproché de Jean Girault, Duccio Tessari ou Luigi Cozzi, assiste au strip-tease express de la diablesse, qui le chevauche topless et atteint l’orgasme tandis qu’il agonise, bigre. Herbert Fux, fournisseur de décédés, futur écologiste, croisera le serpent de Bergman et le soldat de Herzog. Aureliano Luppi, non crédité, co-réalise, pas encore scénariste du sûrement croquignolet K29 : Camp d’extermination (1977) de Bruno Mattei et directeur de production du plus consensuel Cinema Paradiso. Riccardo Pallottini éclaire avec davantage de rusticité que dans La Vierge de Nuremberg, Alessandro Alessandroni compose, cette fois-ci sans siffloter, Harry Cushing, aucun lien avec Peter, finance l’ensemble, subjugué, on le comprend, par sa Rosalba. La version française, lestée d’une élégance racinienne, rajoute à l’intitulé original « cette obsédée sexuelle », mettant ainsi le doigt, disons, sur le vrai sujet du métrage sage et languissant, pas vraiment déplaisant. Ici, on baise avec des prostituées, des demeurés, on étreint son papounet surpris avec une vivacité incestueuse. Féminin, pas un brin féministe, Lady Frankenstein magnifie une femme maléfique, que les hommes craignent, que les femmes n’aiment pas. Il exalte et condamne sa sexualité, il substitue à la thématique de l’hubris le climax de ses sinistres délices.




Que persiste à nous dire en 2018 ce film mineur appréciable en rime pauvre, paupérisée, au Chair pour Frankenstein de Paul Morrissey sorti peu après ? Qu’une femme belle, intelligente, cultivée, bien élevée, déterminée, tout sauf victime, a fortiori face à un profanateur de sépultures misogyne, peut en outre s’avérer une (a)mante religieuse machiavélique, de surcroît probablement athée, une sombre salope dans sa tenue immaculée, une matrice par procuration autant qu’un tombeau d’élection. Pour le message progressiste, expurgé de puritanisme d’exploitation, on repassera, certes, pour le portrait incarné de Tania par Rosalba, on pourra se laisser tenter, en VO point sous-titrée, rien de grave puisque le tournage se déroula en tandem anglais-italien. Bien entourée par des mâles finalement impuissants, pas marrants, l’actrice réussit à s’emparer de sa persona, à infuser au sein (dévoilé) de la trame conservatrice, misogyne, une noirceur attirante, troublante, aussi obscure et impure que sa sudiste chevelure vintage. À défaut de ravir-convaincre par ses qualités cinématographiques, Lady Frankenstein permet de (re)découvrir – bien qu’entrevue en 69, l’année, pas la position, dans Justine – une femme libre, fatale, heureusement tombée de son piédestal, compromise par ses pulsions, les nôtres, et donne envie de parcourir en accéléré déluré le reste de la filmographie de la signorina Neri, notamment son film de prison saphique signé par Jess Franco ou ses diableries de noces placées sous le signe de Lady Dracula, Élisabeth Báthory bis, co-conduites par le libidineux, tant mieux, Joe D’Amato. La cara Rosalba Neri mérita bien son nom, rose noire à cueillir sans faillir parmi le ciné d’amnésie, où surgit cependant sa sensualité à la Barbara Steele, sa puissance sexuelle en effet capable de réveiller les morts et de les rendre forts, à tort…



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