Cold in July : Trois hommes et un couffin
L’Été meurtrier à la sauce étasunienne ? Disons
une odyssée identitaire sincère.
Dans Bushwick, des Texans
sécessionnistes assiégeaient New York ; dans Cold in July, ils
réalisent des snuff movies à base de batte de baseball : Nick Damici, scénariste complice et ici caméo d’inspecteur menteur, possède-t-il une résidence
secondaire à Dallas ? J’écrivais naguère sur la guerre sans fin de Jim
Mickle menée à Mulberry Street ; je découvris hier soir son Juillet
de sang en mesurant aussitôt le chemin parcouru, de l’horreur
désargentée, en huis clos choral, vers le polar passéiste en Scope co-produit
par la France et les États-Unis. Dans un Texas d’opérette, fantasmé par un
aimable tandem de New-Yorkais, que
nul ne confondra avec le territoire très noir et ironique de Jim Thompson, se
déroule en réalité un conte de moralité, se déploie une étude de la
masculinité, de la virilité, de ce que signifie être un mec au cinéma et
au-delà durant les années 80. On croit assister à un second remake des Nerfs à vif, à une
nouvelle version vintage de Comme
un chien enragé, or nous voici projetés dans un avatar de 8 millimètres,
dans une version alternative des Salauds de Claire Denis. Un bout de
bois sportif remplacera l’épi de maïs et Joe R. Lansdale, romancier déguisé en
curé subliminal parmi les pierres tombales, par ailleurs collaborateur de Don
Coscarelli et auteur du recommandable Les
Marécages, sorte de croisement littéraire entre La Nuit du chasseur et Du silence
et des ombres, fera l’affaire à la place de Faulkner. Après les rats de
Manhattan, les vampires de Skate Land, les cannibales de We
Are What We Are, notre cinéaste s’intéresse de près aux loups de
Houston – homo homini lupus, indeed. Secondé par des fidèles, le
compositeur Jeff Grace (estimables BO de The Last Winter et The House of the Devil) en émule des synthétiseurs d’un certain John
Carpenter, le directeur de la photographie Ryan Samul en héritier des massacres
colorés de Mario Bava, Mickle cadre au cordeau, peut-être un peu trop, son
histoire d’encadreur désireux de pénétrer le tableau, en bon élève de Morel.
Pas d’invention scopique à l’horizon
mais un fils orphelin, un rejeton monstrueux, un père par procuration et un ami
martial. Le mari aimant, le prisonnier absent, le détective séduisant :
trois figures du « premier sexe », trois représentants du genre
masculin, du « genre » cinématographique, aux prises avec un diable à
la gueule d’ange, gérant de vidéo-club aux K7 abjectes, à faire passer le Mark
Lewis du Voyeur pour un enfant de chœur. Dans Cold in July, les femmes
se réduisent à des épouses irréprochables, à des assistantes souriantes, à des
prostituées privées de papiers, pauvres Latinas
anonymes sacrifiées en direct dégueulasse sur l’autel du magnétoscope
domestique. Jim Mickle l’indépendant pouvait réaliser un grand film méta
dérangeant, une traversée des ténèbres transfrontières à la Friedkin, il opte pourtant
pour autre chose, un métrage au final assez sage, bien que constamment
plaisant, notamment pour ses subtils changements de tons et de rythmes sous
influence sud-coréenne, admettons. Linéaire malgré son retournement narratif, le
film combine amour et humour, violence et enfance. Là encore, Mickle pouvait
développer le regard du garçonnet, lui donner à voir la transformation de son
inoffensif papounet en ange exterminateur déterminé. Un soir, le petit patron
réveillé en sursaut descend dans son salon un cambrioleur à la con, dont
l’identité superflue figure dans les suppléments du disque. L’intrus s’écroule
sur le canapé, qu’il faudra fissa changer, tachant au passage de sa cervelle la
peinture d’un paysage. Le comique de situation macabre ne saurait masquer la
fragilité du tireur, sa main tremblante au moment de mettre les balles,
l’horloge à la Baudelaire déclenchant le drame.
Ni Charles Bronson ni Chuck Norris,
Richard Dane vient de se servir de l’arme de son paternel, qu’un bonus nous présente rapidement en héros
citoyen de braquage médiatique. Comment gérer cet événement, comment (sur)vivre
(à) avec la violence, comment l’inscrire dans un destin collectif, partagé, en
écho assourdi à la guerre de
Corée ? Mickle ne se prend pas une minute pour le Cronenberg de A History of Violence, il lorgnerait davantage vers le Scorsese de Taxi
Driver, cf. le final à la Fort Alamo au cours duquel nos tontons
flingueurs s’en vont dessouder un groupe de cinéphiles bons pour l’asile ou la
perpétuité, et délivrent au passage une petite sœur de Jodie Foster. Sainte ou
putain, secrétaire inconsciente ou « demoiselle en détresse » dénudée, les
femmes font de la figuration, silhouettes en retrait du récit et de la
tragi-comédie des mâles entre eux. Pas d’homoérotisme dans Cold in July, en dépit de
l’élégance soignée du privé, de la promiscuité d’occasion offerte à côté de son
élevage de cochons, les animaux, pas les producteurs hollywoodiens, hein, plutôt
une mélancolie implicite, une tendresse presque déplacée quand le père
s’adresse à son fils incrédule avant de l’atteindre en pleine tête, à bout
portant, avant de succomber lui-même en miroir. Au terme de l’aventure et de
l’imposture, renaissance de l’engeance + protection de témoin par le FBI comprises,
le brave type perd une oreille à la van Gogh ou à la Stallone dans Cop Land.
Surtout, il appartient désormais à un monde renversé, visez-moi cette verticale
vertigineuse de l’ultime plan au lit, au creux d’un foyer tout sauf serein. Un
filigrane nietzschéen parcourt ainsi Cold in July, rencontre puis combat
avec un abîme intime, une image déformée de soi-même, dont la suppression à
plusieurs laisse des traces à l’esprit, au corps et au cœur.
En été glacé, un homme perd son innocence,
sa normalité, se découvre tel qu’en lui-même le fait divers le change, pour
paraphraser Mallarmé à propos de Poe. La meilleure part de Cold in July réside dans
ce portrait diffracté de l’identité sexuée, dans cette évocation iconique et
drolatique, triviale et létale, d’un trio pas facho, même si les flingues se
substituent aux pénis, je renvoie vers la scène coupée d’accouplement à la
Craven des Krueger. D’un Freddy à l’autre, l’Amérique se contemple, sidérée,
sidérante, dans la psyché d’un passé qui ne passe pas, dans une malédiction de
contamination, dans une éducation à la dure, forcément impure. Ce dédoublement
marrant et atterrant, Mickle le matérialise à deux ou trois reprises avec
recours à un objectif à double focale, tel jadis De Palma, manière de
visualiser la schizophrénie du protagoniste et d’associer lors d’une artificielle
netteté l’insomniaque et son réveil, l’agresseur et son bourreau. Nul hasard
non plus si le drive-in projette La
Nuit des morts-vivants, matrice iconoclaste de la famille US dé/recomposée
déjà citée dans Mulberry Street, puisque Cold in July traite en outre et
principalement de filiation, de destruction en interne, d’horreur en train
d’être filmée, insoupçonnable sous les apparences proprettes du provincialisme.
Le home invasion initial souligne la
présence intérieure du mal, le déterrement du cadavre instrumentalisé, aux
doigts coupés, impossible par conséquent à reconnaître, fonctionne en métonymie
et en métaphore du passif à exhumer, le feu du manoir maudit purifie et damne à
la fois le triptyque sympathique d’incendiaires suicidaires.
Moins rural qu’un Coen, moins
sarcastique qu’un David Lynch, Cold in July carbure à cette
dichotomie structurelle, diégétique, à lire en même temps, d’un seul et unique
mouvement, tels un divertissement réussi et un petit précis de folie, comme un revival de la justice expéditive, a priori sudiste, et la critique
implicite de son imagerie ressuscitée avec respect, générosité, distance et
différence. Face au réellement regretté Sam Shepard, Michael C. Hall (Dexter for ever), Don Johnson (vénéneux pour
L’Avocat
du diable, au côté de la chère Rebecca De Mornay), Wyatt Russell (Little Mickey de Cowboys et Envahisseurs)
et Vinessa Shaw (Domino de Eyes Wide Shut, victime de La
colline a des yeux selon Alexandre Aja, ensuite recroisée dans Two
Lovers et Things People Do) composent des êtres familiers, tourmentés,
confèrent au film sa légèreté, sa gravité. En conclusion, Cold in July échauffe la
cinéphilie, de surcroît pourvue de testicules, et portraiture sans rature trois
hommes nantis d’un coffin, cercueil
programmatique rempli de leur solidarité blessée, au propre et au figuré, de
leur châtiment-boomerang, de leur
révélation épouvantable et fréquentable. Un thriller supérieur
? Un film d’une rassurante maîtrise et lucidement dénué de peur.
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