La Maison qui tue : Rien sur Robert


 « À vendre » ou à céder ? En guise de bail, des funérailles, puis une renaissance.   


Pour une fois, le titre français se justifie : que voit-on ici, sinon la mise à mort d’une imagerie ? Bob Bloch s’y colle, scénariste à cinq reprises du studio Amicus, dont le guère florissant Le Jardin des tortures dirigé par Freddie Francis. Les vrais-faux rivaux de la Hammer l’enterrent, débauchent Cushing & Lee, engagent un débutant sur grand écran. Peter Duffell voulait du Schubert, y compris dans l’intitulé, mais Polanski récupérera bien plus tard La Jeune Fille et la Mort pour son propre torture porn politico-mélomane. The House That Dripped Blood, je propose en VF La Maison qui suintait le sang, ne manque pas d’humour macabre et son rythme mortifère convient à une visite de cimetière. On oppose le passé, baptisé Lugosi, au présent démuni, de canines malignes, sorry Sir Lee. On lit beaucoup, on adresse des clins d’œil à des auteurs fameux, Poe, Hoffmann, Shakespeare, Stoker, Tolkien, nulle surprise de la part d’un écrivain se mettant en scène dès le premier sketch, présage de La Part des ténèbres et de Fenêtre secrète, tous deux d’après Stephen King alors en mode mise en abyme. Le romancier-nouvelliste-scénariste pratique la forme segmentée, mise sur le méta. Dans La Maison qui tue, une caméra en filme une autre, en train de filmer un cabotin encapé, ensorcelé, mouture de Leslie Nielsen déguisé par Mel Brooks dans Dracula, mort et heureux de l’être, in fine vampirisé par l’irrésistible et iconique Ingrid Pitt, puits de féminité poumonnée où enfouir son pendule à testicules, ses yeux surnaturellement bleus durant la métamorphose d’épilogue, la voici s’envoler aussi sec à Shepperton loin de ses talons aiguilles. Joss Ackland, pas encore curé enneigé par Boutonnat selon Giorgino, joue les amoureux cireux, tandis que la séduisante Nyree Dawn Porter interprète la préceptrice d’une gamine portée sur les poupées, évidemment vaudoues.


Dépassons la schizophrénie de vaudeville, la fascination de décollation, la sorcellerie en herbe, l’identification stanislavskienne, le vide inoffensif de l’ensemble symbolisé par le patronyme du flic de Scotland Yard dépêché en province, bien nommé Mister Holloway coiffé à la Dario Argento. La Maison qui tue, métrage moyennement divertissant, parfois éclairé par un émule de Mario Bava, succès aux USA, produit par une firme « amicale » co-fondée par Max Rosenberg, à moitié signataire de La Cité des morts, trouve sa valeur avérée en état des lieux de l’horreur. En 1971, Linda Blair ne sait pas quoi faire, ignore les mères célibataires et les exorcistes suicidaires. En 1971, Terence Fisher arrive en fin de carrière. En 1971, la boîte au marteau voit double, cf. les jumelles de miel des Sévices de Dracula. Trois ans plus tard, Brian Clemens concocte Capitaine Kronos, tueur de vampires, et Roy Ward Baker emballe en Chine avec Chang Cheh La Légende des sept vampires d’or, estimable tandem disons exogène, autant que point de départ dédoublé pour l’esprit satirique de Chapeau melon et bottes de cuir et celui du drolatique/fantastique/asiatique Sammo Hung. Les temps changent, l’étrange également, le sang se répand ou pas. Le Bloch, infidèle hériter de Lovecraft, participe par procuration au tsunami de Psychose, très librement adapté par Joseph Stefano au service de Hitch. Ed Gein renvoie aux oubliettes le comte d’opérette, même si Norman Bates ne lui ressemble point, pas plus que Leatherface. La décennie seventies déploie ses horreurs réelles, cruelles, individuelles et collectives. Le réalisme s’avère de mise, avant l’ironie, le cynisme, les franchises, le foutage de gueule d’usage, Wes Craven significativement passé de La Dernière Maison sur la gauche à Scream.


Le film de Duffell, insignifiant, presque plaisant, pas dépourvu de sens, utilise à bon escient la métaphore du musée de cire, ose montrer un Christopher terrifié par une apprentie sorcière, rime masochiste à la voiture ludique causant la panique de l’inspecteur Harry dans La Dernière Cible. Dès les premiers plans au sein de pièces obsolètes, L’Écran démoniaque de Lotte H. Eisner surgit en épiphanie réflexive et instructive. L’expressionnisme allemand ? Inhumé par Hitler, lui-même matérialisation historique de tous les spectres psychiques, rajoute Siegfried Kracauer, essayiste en exil exempt de peur. L’univers d’antan, remember le bestiaire littéraire de la Universal ? Réduit à néant par Auschwitz, par la nuit et le brouillard de Resnais substitués aux brumes nocturnes du décor et de « l’inconscient », ce mythe freudien idem remis en cause, à l’époque, par le courant de l’antipsychiatrie. Quand la terreur, martiale, économique, de fait divers, innerve la réalité, mieux vaut en rire au ciné dans un huis clos de tombeau, dans une coda de chauve-souris en plastique, en ombre chinoise, dans un regard caméra de l’agent immobilier rondouillet vous défiant d’acquérir la demeure du pire, ce lieu censé refléter la personnalité des acquéreurs, pour leur malheur moralisateur, définitivement ruiné par le souvenir vivace, réactivé, du « lieu » indicible, infigurable, cartographié par Claude Lanzmann. Si les années 50 et 60, période de reconstruction, de reprise, de transition et de séparation urbaine, bien sûr à Berlin, de conflit refroidi, ouf, entre les vainqueurs russes et américains, persistaient à héberger des monstres familiers, mis à distance de bienséance, les années 70 sonnent le glas de cet monde-là, minuit des panoplies dans le sillage anthropophage de La Nuit des morts-vivants advenu en 1968, tout sauf hasard, tant pis pour la contingence de Pittsburgh.


Depuis plus de quarante ans, enfants devenus quasiment incontinents, magie noire de l’âge, du naufrage de la body horror cronenbergesque, nous vivons tous dans l’asile mondialisé du Système du docteur Goudron et du professeur Plume, dans la maison hantée à domicile, en permanence, par nos atrocités incessantes, médiatisées, amnésiques. Inondés par les torrents écarlates de l’Overlook rebâti par Kubrick, nous pataugeons dans des marécages démultipliés sur les écrans de notre modernité, dans les pages sales du journal, dans les miasmes de nos intimités. Robert Bloch, fossoyeur de farces et attrapes, ne cherche plus l’effroi, il congédie avec le sourire les frissons d’autrefois, il referme le chapitre du livre caduc et la grille du manoir arrivé trop tard. Raconté à l’imparfait, La Maison qui tue, film imparfait, expose pour mémoire un espace-temps ressassé, un peu paupérisé, une malédiction désormais hors-saison. Peter Cushing peut donc dorénavant se faire décapiter auprès de sa Salomé, Christopher Lee succomber à une cheminée malicieuse davantage qu’irrévérencieuse. Le cinéma dit horrifique devait vraiment se réinventer afin de continuer à nous émouvoir – en 2018, l’avertissement vaut toujours, mon rouge amour.    

                

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