Ça s’est passé en plein jour : Le Bon Gros Géant


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Ladislao Vajda.


Voici un petit polar allemand-helvétique-hispanique sis en Suisse et sorti en France en 1959 tout à fait fréquentable, un peu comme si M le maudit (1931) croisait Panique (1946) puis The Pledge (2001). Certes, l’immense Michel Simon sidère absolument, surtout en VO, en marchand ambulant porté sur la pendaison de saison, mais Heinz Rühmann, découvert en vrai-faux Watson pour On a tué Sherlock Holmes (1937), arborant ici un faux air de Claude Rains, séduit par sa modestie, son sourire, sa sagacité, sa pugnacité, par sa mélancolie et sa propre culpabilité, aussi, tandis que le polymorphe et cosmopolite Gert Fröbe, déjà policier subalterne chez Orson Welles (Dossier secret, 1955), pas encore commissaire chez Fritz Lang (Le Diabolique Docteur Mabuse, 1960), criminel fétichiste chez Guy Hamilton (Goldfinger, 1964), capitaine hollandais chez Alexander Mackendrick (Cyclone à la Jamaïque, 1965), nazi épris de capitale hexagonale chez René Clément (Paris brûle-t-il ?, 1966), curé bavarois chez Luchino Visconti (Ludwig ou le Crépuscule des dieux, 1972), flic funèbre chez Ingmar Bergman (L’Œuf du serpent, 1977), compose une surprenant et impressionnant assassin d’enfants. D’une manière plutôt subtile, a contrario de la BO souvent kolossale du « maestro » Bruno Canfora, par ailleurs compositeur pour la cara Mina, ce film classique, pas paresseux, point impersonnel, égratigne itou les littéralement létales méthodes policières, le matriarcat outrageusement castrateur (de l’ancien chauffeur surclassé), le racisme et le puritanisme du provincialisme, avant de réunir pour le meilleur, au-delà du pire, trois solitudes attachantes, en une famille d’abord d’occasion et ensuite de cœur, dont la belle María Rosa Salgado incarne une mère célibataire ostracisée à l’instar de sa petiote et météorique Anita von Ow.


Moins renommé que son papa scénariste régulier de Georg Wilhelm Pabst, accompagné du doué directeur de la photographie Heinrich Gärtner, lui-même stakhanoviste depuis l’époque du muet, hispanophone en exil durant la Seconde Guerre mondiale, le méconnu Ladislao Vajda signe à la fois un fait divers d’effroi et un conte de fées en forêt, une œuvre sombre et lumineuse ponctuée de scènes assez intenses – je pense à la confrontation avec les locaux ruraux, à l’annonce faite aux parents, à l’interrogatoire collectif à l’école, au portrait du psychiatre presque profiler – et agrémentée de trois belles trouvailles purement visuelles : le dessin de la disparue à décrypter, le mannequin grandeur nature mis en scène en pleine nature, la marionnette posée sur la main ensanglantée. On sait, en boucle bouclée, que le romancier Friedrich Dürrenmatt, alors flanqué de Hans Jacoby, l’auteur du Fantôme de l’Opéra d’Arthur Lubin (1943, Rains bis), des Mutins du Yorik (1959, l’opus de Georg Tressler récemment célébré par votre serviteur), s’avéra mécontent du rassurant résultat, écrivit par la suite, disons dans la foulée, une sombre et relativiste novella méta, étudiée dans les universités teutonnes, La Promesse précitée/adaptée de Sean Penn avec Jack Nicholson, tandem sincère, cependant languissant, six ans après le plus réussi Crossing Guard. Cela n’enlève rien aux évidentes qualités de Ça s’est passé en plein jour, enquête pas bête et œuvre modeste, évocatrice, à vite redécouvrir, autour de la trop clame Zurich ou n’importe où ailleurs, dans le sillage du malheur in extremis menotté, provisoirement conjuré, en tout cas le temps d’un thriller.


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