La Planète blanche : Le Secret de la banquise


Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Thierry Ragobert, Thierry Piantanida et Jean Lemire.


« L’ours est un seigneur dont le royaume s’est dissous dans l’océan » résume Jean-Louis Étienne en voix off de vieil homme revenu de tout, de partout : La Planète blanche prend acte du réchauffement climatique, ne prend à aucun moment la peine de l’expliquer, de le (re)mettre en cause et si l’on compte sur un tel (télé)film aussi inoffensif pour se sortir de l’impasse écologique, nous voici très mal barrés, surtout douze ans après. Ce métrage désespérément sage, évidemment inattaquable, en tout cas au niveau de son « empreinte carbone » réduite, neutre ou compensée, allez, du trio cité supra, franco-québécois, auquel adjoindre Caroline Underwood en réalisatrice de seconde équipe + sept chefs opérateurs dont deux plongeurs, accompagne d’hiver en été la faune arctique, sur terre et sous mer. Ici, tu survis ou tu péris, tu sers de repas ou tu gagnes le droit de respirer jusqu’au prochain cycle saisonnier. L’espèce humaine, empêtrée dans de pitoyables protocoles nippons à la con, danse allègrement sur le volcan de son propre néant mais réjouissons-nous, braves petits aventuriers domestiqués devant nos écrans de PC, elle sait disposer dorénavant ses caméras intrusives où ça lui chante, quitte à documenter un éden désenchanté, un paradis en sursis, témoignage d’images adressé aux héritiers du désastre programmé. L’allaitement d’une ourse dans sa tanière sans lumière ressemble ainsi à de la télé-réalité nocturne tandis que l’objectif, doué d’ubiquité d’un plan à l’autre, survole une faille de la banquise puis illico immergé s’en sert de cadre pour le ciel ; même le couloir d’un lemming traqué par un loup local ne saurait se soustraire au quadrillage du reportage.


Régi par une similaire idéologie de la transparence, au risque de l’insipidité, de la frontalité itérative et stupide ironiquement cristallisée par le télescopage à répétition des bœufs musqués, je vais te montrer qui va diriger le clan, mon grand, La Planète blanche diffère des productions BBC ou National Geographic Channel par sa modestie narrative, figurative, par son refus de l’hyperbole, de l’anthropomorphe. Les animaux ne portent pas de prénom, ils n’évoluent pas vers un destin d’exception, ils n’accomplissent pas au ralenti de spectaculaires actions saisies en macrophotographie. Non, ils chassent, ils jouent, ils migrent, ils s’en retournent, ils se font bouffer dans une toundra estivale infestée de maudits moustiques, inconscients de leur déclin certain, matez-moi ces morses avachis sur la plage. On ne voit jamais les hommes, on en devine la présence permanente derrière la machine, on entend des femmes, Jorane & Elisapie Isaac, que les mauvaises langues classeront fissa en ersatz évanescents de l’insupportable Björk. La partition de Bruno Coulais, ni ratée ni renversante, dévide sa pelote de notes sur quasiment l’intégralité des soixante-dix-huit minutes, de quoi assez étouffer l’ouvrage, le réduire à un dépliant émollient au bord du muet. Tout ceci, dépourvu de la moindre férocité, n’en déplaise à Brigitte Bardot, qui dut verser sa larme de croco face au trépas du phoque, chopé ad hoc pas l’ourse maousse afin de nourrir sa double portée, olé, propose parfois des instants sidérants de beauté, d’étrangeté, cf. le ballet à la Esther Williams d’une méduse multicolore et des « anges de mer » aux cornes indeed angéliques. Tout cela, n’en doutons pas, émerveillera quelques enfants, fera ricaner les pollueurs cosmopolites, pas un brin émus par les falaises de glace en train de s’effondrer en vitesse diluée, comme naguère les barres d’immeubles dans une France communiquante croyant par conséquent régler la question problématique de sa banlieue à coup d’explosifs administratifs et de replays de JT.


Au terme de La Planète blanche, un ours, un temps entravé par l’eau réchauffée, le sol brisé, y compris à l’approche de septembre, parvient in extremis à regagner la terre ferme, à courir, solitaire, vers l’horizon offert en surplomb, dans sa blancheur provisoire. Que nous réserve l’avenir ? Le pire, probablement, puisque le progrès, mot risible devenu tabou, apprenons à gérer les crises, pas à les dépasser, d’autant plus que la croissance reprend, de quoi tu te plains, crétin, incline-toi plutôt devant ton président plein d’argent, céda depuis longtemps sa place à l’entropie jolie, reine de notre monde immonde qui reprendra toutes ses couleurs quand nous crèverons tous, ouste. Trop distant pour élaborer un récit, trop primaire pour s’essayer à la géopolitique, trop timoré pour oser le lyrisme, trop touristique pour célébrer l’eschatologie, je renvoie le lecteur vers Aftermath : Les Chroniques de l’Après Monde et Homo Sapiens, La Planète blanche tire à blanc, ne blesse personne, laisse à l’Orient le blanc pour porter le deuil. Le découvrir en différé, douze années après, revient à entendre le rêve ou le souvenir d’autrui, d’un passé actualisé, enjolivé, embaumé dans sa tapisserie sonore et son filmage sans effort, sans une once d’inspiration, de contestation, de réappropriation. En définitive, il ne suffit pas de voyager pour dépayser, il ne suffit pas de se rendre in situ pour savoir rendre compte d’une situation, il ne suffit pas de montrer sans choquer la sélection naturelle pour susciter l’envie juvénile d’une protection environnementale. Thierry Ragobert, ancien monteur pour Cousteau, documentariste hétéroclite, co-signe finalement un film pas déplaisant, pas interminable, juste un film inutile, vide, d’une vacuité de bonnes intentions, à des kilomètres de toute conscience politique ou mystique.


Vous aimez les belles bestioles en danger ? D’accord, embarquez à bord de ce pôle Nord privé de désaccords. Vous percevez dans la neige une abstraction anxiogène et la claire métaphore de la mort ? Orientez-vous vers Poe, Lovecraft, Carpenter, Fessenden, cartographes d’une autre trempe du white inferno, tombeau des bêtes et de ceux qui les baptisèrent, qui aujourd’hui donnent l’impression de s’en soucier, trop tard et avant tout pour sauver leur propre peau de bourreau. Sans le froid, l’homme disparaîtra, le cinéma idem ? Et alors ? Ne comptez pas sur moi pour allumer un cierge ou recouvrir mes cheveux de cendres : si je peux regretter que ce beau bestiaire s’avère à son tour fantomatique, bien que les bénévoles de la SPA ne me connaissent pas, l’extermination de mes congénères ne me gêne guère, elle m’amuserait même, a fortiori assortie d’une renaissance, ou d’une remise en équilibre, de l’écosystème planétaire. Adolescent sudiste, je sais parfaitement que la forêt la plus outragée par les fantaisies fumeuses des pyromanes parvient pourtant, grâce au temps, à refleurir, à reverdir, à connaître à nouveau, aidée ou pas, son regain d’essences, de fragrances, de deuxième chance – enfin blanchie de nos pénibles pitreries, la planète sans mecs se présenterait non en terrible tragédie, s’apprécierait peut-être en préférable utopie, oui. 


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