La Main de l’épouvante : Danger : Diabolik !


L’amour en vitesse, avec Elvis ? La mort à la va-vite, avec le sourire.


Voici un vrai-faux giallo généré en Germanie. Voici un Krimi avec Kinski au centre et cependant à la périphérie du récit, en double exemplaire de frères fratricides. Voilà du cinéma du samedi soir, comme disent ceux qui le méprisent, et aussi de gare, spécialité teutonne. Voilà du ciné pop comme la musique homonyme et les fameux fumetti d’Italie, je renvoie vers Mario Bava, Umberto Lenzi. Cela va vite, cela ne s’arrête pas, presque autant que dans Les Espions de Fritz Lang, esprit du serial oblige. Cela dure à peine 83 minutes, sans la moindre chute. Sous le pseudonyme montagnard d’Alex Berg, Herbert Reinecker, scénariste stakhanoviste de Derrick, adapte le britannique et prolifique Edgar Wallace, dont l’idée donna indeed King Kong, sorti en 1933, date hitlérienne. Seul, sans doute, un ancien SS pouvait conférer au docteur Mangrove des faux airs de son homologue Mengele, seringue de cobaye incluse, folie d’infirmière à la clé. Seul, assurément, un ex-énamouré du national-socialisme, repenti depuis, pouvait placer dans la bouche d’un personnage cette réplique démissionnaire digne de la défense d’Adolf Eichmann : « Je n’ai fait qu’exécuter les ordres ». Le prolifique Alfred Vohrer, alors âgé d’une cinquantaine d’années, bientôt à l’œuvre à la TV pour les inénarrables Renard et autre Clinique de la Forêt-noire, signe un film feuilletonesque, de série, pas paresseux, pas soumis au cynisme mais soigné, baigné d’une connivence d’enfance. La radicalité, l’abstraction, il faut parfois savoir les déceler dans l’artisanat mésestimé, dans la sous-culture ainsi que la qualifient les amateurs d’impostures, confits dans leur élitiste bourgeoisie. Ici, les retournements de situation ne ponctuent plus la structure, ils la constituent, quelle aventure. Face aux habitués Harald Leipnitz & Siegfried Schürenberg, aperçu dans On a tué Sherlock Holmes, la débutante Diana Körner ne démérite pas, loin de là, pas encore au générique de Barry Lyndon, déjà gracieuse assiégée dans une pièce fermée par des serpents maousses et des souris repoussées.



Même si la cour d’assises initiale s’orne d’un portrait royal, même si l’ensemble évoque un whodunit en mode Agatha Christie, même si Albert Bessler, croisé dans Les Mutins du Yorik + Le Diabolique Docteur Mabuse, interprète un chic domestique, l’Angleterre s’avère une pure utopie et le parc du château de Gentry se nimbe la nuit de brouillard joli, dû au consciencieux directeur de la photographie Ernst W. Kalinke. Martin Böttcher, le meilleur ami de Winnetou, ses aventures en relecture du western par le film classé alpestre, ou l’inverse, un salut à Leni Riefenstahl, accompagne de son jazz aimable, germanique, les meurtres et les flics durant une enquête quasiment sans queue ni tête autour d’un héritage in extremis convoité, olé, par le jumeau cerveau. Jutta Hering monte avant Bergman parmi les nazis, Horst Wendlandt produit avant la Solange de Massimo Dallamano, la Marie/Romy du simple Sautet, la Lili et la Lola de Fassbinder, Bud Spencer en Malabar, Belmondo aux JO et Bergman, bis, avec sa bête immonde brechtienne. Les Emerson, pourtant privés de l’ironique splendeur wellesienne des Amberson, ne manquent pas d’horribles ressources amusantes, jugez vous-même : la main bleue du titre original, gant de ferraille à faire défaillir Freddy Krueger de cruel plaisir, invention typiquement française, raille la flicaille, éventre un berger, forcément allemand, la belle-mère, rousse possiblement marâtre, se voit suspectée par les policiers, le jardinier, autrefois trucidé, reclus au sein de son labyrinthe dissimulé, ressuscite aussitôt, l’évadé du début avise in fine son frérot ligoté tel Hannibal Lecter. N’omettons surtout pas une reproduction de Guernica tout sauf innocente sur le mur du psy, directeur d’asile lucratif à la Peter Cushing, un clin d’œil à son œil disproportionné pour le Top secret ! des ZAZ, et une accorte petite secrétaire policière intégralement vêtue en vert, bottes ad hoc, incarnée par Ilse Pagé, sous peu recrutée par Volker Schlöndorff pour son Tambour de désamour.


Certes, l’humour de nos voisins d’outre-Rhin semblera un brin kolossal à la pupille de quelques cinéphiles, a fortiori francophones. So what ? Contrairement au didactisme récent d’un Oliver Hirschbiegel, dispensable biographe de Georg Esler, La Main de l’épouvante ne se prend jamais au sérieux, même façonné avec soin, même avec son filigrane de souvenirs sinistres. Les fans de Klaus regretteront sa discrétion, de jeu et de présence, les novices apprécieront le métrage rapide et intrépide à sa juste mesure de divertissement pour grands enfants, nature reconnue, formulée par le majordome en coda, à aucun moment régressif ou laxatif, mieux, constamment marrant et surprenant, notamment pour son générique conçu à la manière d’une bande-annonce immobile. Faisons mentir ce figement d’images et taire les mauvaises langues hexagonales ou étrangères, gardons-nous de le hisser aussi haut que l’insupportable Tarantino afin de mieux lui serrer la main, fréquentable, point épouvantable, pour sa sympathique modestie, sa criminelle comédie et son élan permanent.

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