Herbert : Le Dernier Combat
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Thomas
Stuber.
Dis, quand reviendras-tu ?
Dis, au moins le sais-tu ?
Que tout le temps qui passe
Ne se rattrape guère
Que tout le temps perdu
Ne se rattrape plus
Barbara
Scope et caméra portée, OK. Pas de Rosetta à la sauce
Dardenne mais un ex-boxeur amateur d’ex-Allemagne de l’Est, pas vraiment
favorisé par les Soviétiques, plutôt autrefois foutu en taule. Il accomplit ses
ablutions puis tabasse un débiteur, gare au videur, gare à la vengeance
différée, encapuchonnée. Sous la douche du gymnase, une méchante crampe le
terrasse. Ce colosse cassé, atteint d’une variante de la maladie de Parkinson,
un salut à Ali, via une VHS, explicitée
par Google au cybercafé du coin, va se battre contre le sort de son corps
durant une heure quarante. Pas de rédemption à l’horizon, pas de fin heureuse,
miraculeuse. J’écrivais en janvier à propos de la permanence du mélodrame, y
compris, logiquement, dans le film dit d’horreur. Herbert, vite tourné en
trente-cinq jours, récompensé à domicile, démontre la vitalité du registre, à
sa manière s’avère aussi un récit horrifique, pétri de la fameuse, pléonasmique
et peut-être puritaine body horror sublimée par la filmographie de
David Cronenberg. En découvrant hier soir cette œuvre courte, inédite en salles
hexagonales, on pensait davantage à Bad Lieutenant et Amour,
voire à The Wrestler, qu’à Nous avons gagné ce soir, Rocky
ou Raging
Bull.
La boxe, ici, intervient à l’arrière-plan, métaphorise une lutte évidemment
perdue d’avance. À mesure que la « tremblote » ligote le
protagoniste, emballé à ses objets du quotidien, par exemple un rasoir pour le
crâne, tel Ulysse à son mât, la caméra semble se poser, s’immobiliser, le
format large ironiquement utilisé pour illustrer un enfermement, une réduction
des actions, de l’espace et du champ des possibles. L’une des meilleures scènes
voit le pote tatoueur évoquer, face à une carte américaine constellée de drapeaux
colorés, les diverses stations du voyage prévu.
Hélas, Herbert ne verra pas Santa
Monica, il ne reconquerra pas d’un claquement de doigts, d’un bégaiement
désolant, le cœur et la vie de sa fille abandonnée en bas âge, désormais mère
célibataire d’une blondinette baptisée d’après un personnage de film jadis vu
avec son papa, tatouée au dentiste. Le grand-père, vénère, canne à la main, ira
d’ailleurs corriger le géniteur chez lui, devant les yeux de la gosse taciturne
illico bouclée de son plein gré dans
sa chambre d’enfant de divorcés. Pourtant, in
extremis, père et fille se
rejoignent, au moins le temps de deux plans, montage alterné d’un après-midi
d’hiver ensoleillé, lui de dos en fauteuil roulant, devant de la verdure, sous
le ciel immense, elle de profil devant la fenêtre de sa dernière demeure d’hôpital,
de clinique, garnie de cartons et de souvenirs dorénavant hors-saison. Que
restera-t-il de nous après notre mort, à part de pauvres affaires, des gestes à
regretter, des cadeaux ou gâteaux d’anniversaire à ne pas toucher, manger, ou
alors trop tard ? Premier film, film de fin de vie, enregistrement un brin
policé, téléfilmé, d’une déchéance déchirante, admirable, au final très
fréquentable, Herbert se focalise sur une ruine programmée, qui attend chaque
spectateur et pas seulement un cogneur in
fine muni d'un cœur. Il repose, pour
une large part, sur l’interprétation, l’incarnation, terme pour une fois
totalement idoine, de Peter Kurth, aperçu dans Good Bye Lenin!
et Gold,
dès lors dans le rôle d’une carrière. L’acteur, issu de la TV, à l’instar de l’ensemble
du casting irréprochable, compose une
persona inoubliable, donne une leçon de jeu dangereux à tous les cyniques
hollywoodiens friands de se déguiser en démunis, en déglingués, en handicapés, un
œil sur leur compte en banque et l’autre sur la cérémonie rassie des Oscars,
comme si la postérité allait se soucier de leur cabotinage d’outrage.
Kurth n’en fait jamais trop, ni avant
ni après sa chute pathologique, écroulement de ses kilos, de ses idéaux, de ses
représentations et fonctions de paupérisation. Au cours de l’ultime combat, il
paraîtra perdre son fils adoptif, par procuration, avant que le ring victorieux ne le lui rende en guise
d’adieux. Je boxe pour toi, grâce à toi. Film de mecs, donc, de virilité
malmenée, de « dignité » renversée, n’en déplaise à tous les fumistes
ignorant que crever de façon chronique sent souvent les médicaments, la merde, la
solitude ontologique, la déréliction métaphysique, Dieu peut aller mourir
ailleurs. Cependant film de femmes, principalement deux, Marlene la maîtresse,
réchauffante Lina Wendel, et Sandra la progéniture, refroidissante Lena
Lauzemis. La seconde, blonde, conduit un bus, arbore une coupe de cheveux durcissant
ses traits, faisant ressortir le gris orageux de ses yeux, créature de glace
que la coda brise un chouïa. La première, brune, alcoolisée, sensuelle,
maternelle, travaille dans un pressing,
attend avec son chien blanc savant la venue prévue de son prince charmant
décevant, pas marrant, prends-moi dans le couloir, avec ma petite culotte mise
exprès. Plus tard, elle essaiera de s’installer, de former avec son hôte
quelque chose d’un couple, normalité mise à mal par une table aux toasts régressifs foutus en l’air d’un
revers de main, elle-même à genoux, regarde ce que je fais de ta pitié. Pas une
once de haine, pas de « violences faites aux femmes », rien que le
dégoût de soi, l’affirmation que l’amour ne suffit pas, pas cet amour-là. Elle
partira, elle postera une cassette de requiem,
elle devra prendre soin d’elle, lui recommande son amoureux mutique, amenuisé,
terriblement aminci.
Herbert vaut également pour cette relation
réellement adulte, presque à la Pialat, où une femme de quarante-cinquante ans
peut sortir du lit, le matin, seins nus, préparer des œufs en peignoir parfumé
de peau masculine, sans que cela ne verse dans le racolage, dans la trivialité,
dans l’exploitation de nos silhouettes imparfaites, si cela vous fait bander ou
mouiller, allez mater la sociologie sinistre, classée X, de Jacquie
et Michel. De l’humour, de l’amour, notamment une scène sexuelle,
émotionnelle, avec une péripatéticienne fellinienne, achevée en pietà, permettent de respirer, de suivre
jusqu’au bout ce chemin de croix réservé à toi et moi. Bien sûr, certain(e)s
trouveront tout cela dur à digérer, à encaisser. Laissons le bonheur illusoire
et la santé provisoire à leurs possesseurs égoïstes, autistes, capitalistes.
Attachons-nous aux vaincus, aux vieillards, aux marginaux, à ceux que l’on ne
voit pas, spécialement sur un écran de cinéma. Lucas et sa clique, qu’ils aillent
se faire enculer, en exécrable compagnie des auteuristes à Paris, qui pompent
le fric public pour le mercredi dégueuler leurs simagrées. Toujours, disons
jusqu’à la suppression nécessaire de ce blog,
de son auteur, je célébrerai ce ciné-ci, sans mouchoirs de trémolos, sans
bienséance bourgeoise. Lesté de radicalité, pas celle de la provocation à la
con, d’humanité, pas celle de l’humanisme onaniste, de beauté, celle des êtres
fragiles, des hommes blessés, des femmes secourables, Herbert me convient,
valait bien cent minutes de ma vie de cinéphile. Film impitoyable et tendre, à
l’allemande, il portraiture une figure immédiatement accessible,
compréhensible, pas un ange, pas non plus une ordure. Il me remémore le
romantisme réaliste d’un Murnau, sauf que ce Dernier des hommes ne
s’occupe plus de toilettes d’hôtel mais des entrées et sorties de cadavres à la
morgue, en écho au raté Veilleur de nuit.
Oui, voici ce que tu deviendras, un
macchabée anonyme, un habitant de tiroir, un portier déclassé, déformé, recalé,
klaxonné, qui parvient néanmoins à assister à la fête du bébé de son élève, car
la vie, tant mieux, tant pis, ne s’arrête pas, elle continue sans nous, malgré
nous. Malgré le règne du virtuel, Herbert nous rappelle par conséquent
deux ou trois évidences, souffrances, raisons de se réjouir au contact d’une
chair chaude, d’un auxiliaire de vie valeureux, malicieux. Pas de crétins étasuniens
en collants, pas de biographies-hagiographies, pas non plus de misérabilisme, de
moralisme, de dolorisme, de baume émollient, résilient, rassurant, à peine un
soupçon des Variations Goldberg de Bach, la pièce préférée de Hannibal
Lecteur itou reprise par Tel père, tel fils + Snowpiercer,
le Transperceneige. Si vous ignorez encore que le miroir des fantômes,
finalement, reflète une tête de mort, la mienne, la vôtre, on ne peut plus rien
pour vous. Toutefois, on pourra (re)voir ce métrage aimable, clos comme un aquarium à la Rusty James,
aux superbes bestioles abîmées, obscur comme un caveau, lumineux comme le
sourire d’une amante, doux comme un rayon de soleil sur un visage, quelle
merveille, quel paysage !
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