Un violon sur le toit : Redécouvrir Rózsa
L’amour sous l’armure, Feyder dut s’y faire…
À la mémoire de Christopher Palmer
Compositeur majeur, cosmopolite
artiste, fifils de maman pianiste, violoniste juvénile, mais moins virtuose que
Jascha Heifetz, formé en Allemagne, compère de Honegger, compatriote des Korda,
ami d’un Herrmann peu magnanime, autre amateur notoire de thérémine, enseignant
à USC, l’admiratif Jerry Goldsmith y assiste aussi, Miklós Rózsa voyagea, ne
chôma, y compris victime d’un AVC survenu en Italie, reclus à la Dietrich fissa
reparti en Californie. Il mena même, dit-il, une « double vie », clin
d’œil du titre de son autobiographie au titre d’origine de Othello (Cukor, 1947),
Oscar inclus, deuxième reçu, parmi ceux de Spellbound (La Maison du docteur Edwardes,
Hitchcock, 1945), Selznick s’en fiche, s’en félicite, du bienvenu Ben-Hur
(Wyler, 1959), à moitié partagé entre musique classée classique et
cinématographique, séparation poreuse, distinction oiseuse, cf. un concerto
hitchcockien, ça le valait bien, malgré un score
estimé trop sucré, précédemment le développement hors-écran d’un Duvivier d’expatrié
(Lydia,
1941), un opus spécialisé, pour le
Jascha précité, en partie transposé, presque vingt ans après, à l’occasion de La
Vie
privée
de
Sherlock
Holmes
(Wilder, 1970). Sa filmographie fournie, a
fortiori durant deux décennies,
quarante, cinquante, prend fin en 1982, via
l’auto-hommage à demi-parodique des Cadavres ne portent pas de costard,
comédie cinéphile et nécrophile, polar du père de Rob Reiner, les seventies d’ailleurs investies d’une
temporalité tournée vers le passé, sinon la nostalgie, l’enfantine féerie,
citons donc Le Voyage fantastique de Sinbad (Hessler, 1973), vraie-fausse
réponse au Septième Voyage de Sinbad (Juran, 1958, SFX
de Harryhausen, BO de Benny), Providence (Resnais, mélomane
éclairé, César à la clé, 1976), The Private Files of J. Edgar Hoover
(Cohen, 1977, longtemps avant le biopic
insipide d’Eastwood, édité en 2011), Fedora (Wilder, 1978), Meurtres
en cascade (émancipé de Corman, Demme fait ses gammes, façon Alfred,
1979), le mal-aimé C’était demain (Meyer, 1979), certes moins bien que le quasi homonyme de Clair (C’est
arrivé demain, 1944). L’année du retrait, Basil Poledouris déboule,
reprend de l’épique lyrique le flambeau, le hisse très haut, car
incontournable, remarquée, remarquable, « bande originale » du Conan
le Barbare de Milius, émule musical de Leone.
Du violoneux Williams, co-arrangeur
et directeur du boulot de Jerry Block, l’auteur de Fiddler on the Roof (Jewison,
1971), le diptyque fantastique, sens duel, Furie (De Palma, 1978) & Dracula
(Badham, 1979), suivait déjà les pas du Hongrois, oui-da. S’immerger, sur la
durée, au milieu des notes de Miklós, ressemble en somme à la lecture de Une descente
dans le Maelstrom, l’impressionnante expérience en POV de Poe.
L’auditeur se retrouve en pleine tempête émotionnelle, plurielle, comme si les
amants maudits de Wagner se délocalisaient du côté de Hollywood, s’arrimaient
en tandem à la MGM, délestés
toutefois de leur foi et feu lumineux. Cette tension dramatique et mélodique
caractéristique, obscurité souvent déposée, exposée, dès l’orée, renforce un
romantisme affirmé, assumé, d’une irrésistible sincérité, qui ne se dispense ni
de délicatesse, ni de noblesse. Rózsa écrivait à une époque de « préludes »,
péplums, « ouvertures », aventures, « thèmes d’amour »,
violence vivante toujours, « valses » valeureuses, point
paresseuses, ceci s’écoute, cela se voit. Votre serviteur écrivit au sujet du Voleur
de Bagdad (Berger, Powell, Whelan, 1940), Le Livre de la jungle
(Zoltan Korda, 1942), Le Poison (Wilder, 1945), Madame
Bovary (Minnelli, 1949), Quo vadis (LeRoy, 1951), Le
Monde,
la Chair et le Diable (MacDougall, 1959), Ben-Hur, Le
Cid (Mann, 1961), La Vie privée de Sherlock Holmes,
Fedora,
ceci se (re)lit, cela va de soi. Je vous propose à présent de parcourir le
monde de Miklós, ses partitions parfois répétitives, petit prix de l’unité du
style, dont la puissance orchestrale magistrale sait s’autoriser de précieuses
respirations, en solo selon, à cithare ou guitare, à synthétiseur mineur,
surprises pareilles à des perles apaisées, placées au cœur du collier molto tourmenté,
« turmoil » idoine d’un passage de La Passe dangereuse (The
Seventh
Sin,
Neame, 1957). Avec quelques limites, par exemple la démence de Peck,
surréaliste, inoffensive face à la folie, à l’asphyxie, de Bates (Psychose,
Hitch/Herrmann, 1960), avec de flamboyantes réussites, reconnues, méconnues,
Miklós Rózsa demeure, pourquoi
pas, mon double programme de playlists
chronologiques, disponibles ici et là, peut-être vous en convaincra,
l’incarnation suprême, superbe, d’un esprit de chevalerie, supérieur à celui
des chevaliers chamarrés, pasteurisés, du Camelot de (dé)colorée, amusante ou
assommante camelote, relooké par Richard Thorpe (Ivanhoé, 1952, Knights
of the Round Table, 1953).
Au-delà d’un souci respectable et
discutable, « éduquer » l’oreille du spectateur, on applaudit, on
pleure, ces OST tout sauf effacées, jamais musiques aux mites bouffées,
s’adoubent en bouffées d’air frais, en élans renversants, énervants, émouvants,
en oriflammes munies d’une âme, en belles dentelles, à la fois professionnelles
et personnelles.
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