La Lune dans le caniveau

 

Un métrage, une image : Irma la Douce (1963)

Mais ça c’est une autre histoire

Gérard Blanc

Irma la Douce se termine comme Conan le Barbare (Milius, 1982), encore un conte d’éducation, d’émancipation, de narration en voix off, le rauque Mako remplace le doux Jourdan, de puissance sexuelle, de valeurs renversées, certes plus épique et lyrique : par une affirmation de l’infini de la fiction, coda de regard caméra amusé, assumé, en rime à celui de Shirley, descendue du billard où danser, au son de Dis-Donc. Exit la (jolie) musique de Marguerite (Monnot), précieuse compositrice pour Piaf, hors et au ciné (Les Amants de demain, Blistène, 1959), puisque Previn revient, repart pourvu d’un Oscar. Diamond & Wilder ne remettent le couvert de La Garçonnière (1960), ralentissent la rapidité, disent adieu à l’actualité de Un, deux, trois (1961), adressent des clins d’œil à Kubrick (Lolita, 1962) & Lean (Le Pont de la rivière Kwaï, 1957 + Lawrence d’Arabie, 1962), une petite pique à la Motion Picture Association of America, relookée en syndicat du crime, pas l’homonyme de Woo, plutôt des paresseux marlous. En l’absence des décédés Laughton & Monroe, voici de James Caan & Bill Bixby les rigolos caméos ; au lieu de Liz (Taylor), voilà (la sculpturale) Tura Satana. Ni Un Américain à Paris (Minnelli, 1951), ni Drôle de frimousse (Donen, 1957), Irma la Douce dialogue à distance avec Embrasse-moi, idiot (1964), alors que son Lord déguisé, débandé, privé de Lady Chatterley, anticipe l’allègre anglicité de La Vie privée de Sherlock Holmes (1970). Vampirisant l’opus plaisant et trompeur, un Lemmon excellent, en trois exemplaires, préfigure bien sûr le frégolisme de Peter Sellers (Docteur Folamour, Kubrick, 1964), le flic naïf, hyperactif, idéaliste, médaillé, remercié, maqué, au propre, au figuré, masqué, mort et ressuscité, annonce aussi l’inspecteur Clouseau de La Panthère rose (Edwards, 1963, Sellers again). Succès (sauf en France, pas de chance) en partie désavoué par un cinéaste et une actrice enrichis grâce à lui, Irma la Douce ne se trouve « au carrefour de Tennessee Williams et Walt Disney », même si Billy l’affirme, même si son classicisme, son sentimentalisme, paraissent presque anachroniques, archaïques, confrontés à une cosmopolite et radicale modernité, disons celle d’Antonioni (L’avventura) & Fellini (La dolce vita), Hitchcock (Psychose) & Powell (Le Voyeur), Franju (Les Yeux sans visage) & Godard (À bout de souffle), on se limite ici aux sorties de 1960. Il s’agit en réalité, en résumé, d’un film dont la forme affiche le sujet, à savoir une artificialité fondatrice, démultipliée, mélange étrange, souvent amusant, doucement émouvant, de pragmatisme et de romantisme, de cynisme et de moralisme, de non conventionnel et de consensuel. Mise en abyme du réalisateur des réflexifs Sunset Boulevard (1950) et Fedora (1978), Moustache dirige le marivaudage, le mariage, Irma ressemble à Shéhérazade, Nestor à un Protée dépucelé, épris, épuisé. De la passe au passe-passe, de l’autel à l’hôtel, des tapins à la Bernardin aux témoins, digne fifille fumeuse d’une « streetwalker », puis caissière de poissonnière, la putain devient maintenant maman, pas de bas (verts), pas de clébard (alcoolique) prévient le papa en pietà.  

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