La guerre est finie
Un métrage, une image : Pluie noire (1989)
Filmer l’infilmable, les effets
instantanés, puis prolongés, du premier des crimes de guerre, des « crimes
contre l’humanité », commis par les États-Unis, avec un cynisme définitif,
n’oublions les observations, les interdictions, au Japon sous occupation, sans
se soucier de Resnais (Hiroshima mon amour, 1959), en se
souvenant surtout d’Ozu – pari à moitié remporté, puisque musique
surdramatique, due à l’incontournable Tōru Takemitsu, plus nuancé, plus
inspiré, chez Teshigahara (La Femme des
sables,
1964), Kobayashi (Kwaïdan, idem),
Ōshima (L’Empire de la passion, 1979) ou Kurosawa (Ran, 1985), allez, parce
que le prologue, couplé à un retour en arrière, en enfer, reconstitution en
accéléré, au risque de saper la célèbre « suspension d’incrédulité »,
rappelle plutôt la pétrification de Pompéi, qu’il n’annonce Nagasaki. Pourtant,
Pluie
noire
opère, presque sans crier gare, un saut spatio-temporel, préfère à l’historique
la chronique, mâtine le local mélodrame de tragi-comédie. Dans Requiem
pour
un
massacre
(Klimov, 1985), opus russe, qui
irrita, déjà, l’Ukraine, à cause de miliciens malsains, les multiples atrocités
SS s’apercevaient à travers le regard du fuyard, enfant stupéfait et
stupéfiant, se reflétaient sur son visage avili, vieilli ; dans Pluie
noire,
une ruralité, a priori apaisée, en vérité
viciée, à l’image, un tantinet, de celle des Enfants du
marais
(Becker, 1999), sert de cadre convivial et médical, à la fois à une obsession
du mariage, à une évocation du dommage. Le réalisateur de valeur de La
Femme insecte (1963), du Profond Désir des
dieux
(1968) ou De l’eau tiède sous un pont rouge (2001), itou portrait de
femme, ville versus campagne,
cinématographie au bord de l’ethnographie, le corps, encore, décrit donc une
communauté, soumise à une mort programmée, munie de rumeur, de discrimination à
la con, aussi de solidarité, où la folie, ponctuelle, pavlovienne, n’encombre
la rencontre, au contraire l’autorise, la légitime, sous la forme d’un
romantisme modernisé, de celui de L’Écume des jours pas si éloigné.
Comme Chloé, Yasuko va crever, en cachette, elle soigne un abcès, espionnée, surcadrée,
seins dénudés, noces domestiques d’Éros & Thanatos, elle perd ses cheveux
par poignées, elle sourit d’incrédulité, bis,
elle tombe amoureuse, heureuse et malheureuse, de l’ancien soldat, « doux,
calme », cinglé, en sculpteur recyclé, elle finit portée entre ses bras,
ultime pietà. Guérira, guérira pas ? Il suffirait, au fond de l’horizon,
d’un arc-en-ciel pluriel, pas blanc, tel l’éclair malveillant, « mal
nécessaire », misère, indique l’oncle récitant. Imamura ne répond, ne
rassure, il met en scène une double peine, il affirme en douceur, à l’ombre
claire d’un ensoleillé malheur, d’une carpe géante sautant en l’air, d’un
dédoublé défilé de cimetière, que la guerre ne se termine guère, ici, là-bas,
aujourd’hui à Kiev, jadis du côté de Fukuyama. « Une paix injuste vaut
mieux qu’une guerre juste », ce type de maxime pacifiste, Vladimir Poutine
s’en fiche, tandis que Yoshiko Tanaka, de ses prix d’interprétation de saison à
peine profitera, filmographie fournie, en dépit d’un décès prématuré,
cancérisé. Conflit à l’infini, truc de mec, malhonnête, peut-être ; film
imparfait, impressionnant, stimulant, assurément.
Merci pour ce beau et sensible billet fort à propos...
RépondreSupprimerDe la bande annonce de ce film, outre les images poignantes , je retiens la musique de Beethoven, la Symphonie No.7 en La majeur op.92 - II, Allegretto, (Cette fabuleuse symphonie majestueuse fut composée lorsque le musicien avait 41 ans, alors qu 'il commençait à perdre l'ouïe, ce durant la période de la campagne de Russie de 1812 des guerres napoléoniennes (1803-1815) contre le Saint-Empire romain germanique...
Beethoven, Symphonie n° 7, Allegretto https://www.youtube.com/watch?v=EgLadH-FjSw
Le film est animé de puissantes images tout en contraste, nature calme et coeur en cendre des habitants irradiés, le jeune garçon que son propre frère ne reconnaît plus, et ce mal invisible qui ronge l'humanité et qui semble se perdre en un infini de temps à jamais suspendu, ...
Oui il existe des guerres invisibles mais non moins tragiques, couleur de corium ...
Le corium du réacteur 1 visible http://www.fukushima-blog.com/
On pouvait visionner Pluie noire en replay, sur le site spécialisé d’ARTE, jusqu’au 25 février…
SupprimerFilmer l’infilmable, de façon différente :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Necessary_Evil
https://www.youtube.com/watch?v=asD_1m8nKR4
Mouvement souvent galvaudé par les bandes-annonces de ciné, absent de celui-ci, présent dans Irréversible…
Mozart, un requiem (au carré), un (autre) arc-en-ciel : comme un concentré de l’éprouvante épopée précitée :
https://www.youtube.com/watch?v=fo8V_Si53b0
Bashung à Tchernobyl, bien avant les troupes de Poutine :
https://www.youtube.com/watch?v=1KnUdi3aGZs
Cette reprise-, en effet je ne l'ai pas assez précisé, https://www.youtube.com/watch?v=gbIwIyHJ7KQ
Supprimerlà elle fait sens à mon goût, la musique de Beethoven, célébrant la lutte de l'homme face à son destin...
Film vu à sa sortie, souvenir impérissable...
Pluie noire (1989) - Bande annonce Patrimoine
https://vimeo.com/436093145
https://www.youtube.com/watch?v=bNK9O8Y7U8Q
SupprimerLe Destin selon Berri & Verdi :
https://www.youtube.com/watch?v=6gTqgd5GQoQ