Identification d’une femme : Monica survivra
Cassavetes & Rowlands, Eastwood
& Locke, Roeg & Russell ? Antonioni & Vitti…
Qui donc se souviendra, aujourd’hui,
de Monica Vitti, sinon les fanatiques des films de Michelangelo Antonioni, les
admirateurs d’un cinéma d’autrefois, façonné en Italie, d’un autre monde, aux
vies évanouies ? La Monica, ça va de soi, durant ces vingt-cinq dernières
années, dut tout en oublier, car atteinte, misère, d’un Alzheimer, en écho à
« notre » Annie Girardot, presque compatriote, en tout cas de
co-productions d’Europe. Ironie sinistre, peut-être rédemptrice, des actrices
démunies de mémoire, incapables de se reconnaître au fantomatique miroir,
quelle fragilité cruelle que celle de caractéristiques crues fondatrices. Avant de voir se dissoudre
son identité, son pedigree, sa
mémorable renommée, qu’elle situait dare-dare au-dessus d’un Oscar, Vitti
traversa quatre décennies, se fit plusieurs fois féliciter, parce qu’elle le
valait bien, par les « professionnels de la profession » transalpins
et la presse spécialisée à l’unisson. La chère reçut en sus les récompenses un
peu bestiaire, un peu pierre tombale, à onze ans d’intervalle, d’ours
berlinois, de lion vénitien, de quoi conclure un dessiné destin, au risque inique
de sentir le sapin. Comédienne d’abord, d’accord, dame de drame, amie de la
comédie (dite « à l’italienne »), en réalité nommée Maria Luisa
Ceciarelli, doubleuse heureuse, merci au Cri (Antonioni, 1957), puis à
Pasolini (Accattone, 1961), déjà inhumée par Le Monde en 1988, elle en
rit, nous aussi, elle vient de décéder pour de vrai, passa par la TV, se
raconta selon deux autobiographies à succès. Amante de Michelangelo, compagne du
doué DP Di Palma Carlo (La Longue Nuit de 43, Vancini, 1960,
moult Antonioni, de l’Allen à la pelle), elle épousa le photographe de plateau
Roberto Russo. Réalisatrice éphémère (Scandalo segreto, 1990, au côté de
Catherine Spaak), femme jamais mère, citoyenne guère austère, au final défunte
nonagénaire, du Delon lunaire la partenaire solaire (L’Éclipse, Antonioni,
1962), Monica Vitti tourna sous la direction dispensable ou décisive de Clair,
Vadim, Brass, Losey (le médiocre Modesty Blaise, 1966), Festa
Campanile, Monicelli, Sordi, De Sica, Scola, Risi, Buñuel (le fantaisiste Le
Fantôme de la liberté, 1974), Comencini, Cayatte, Zampa (le médiocre, bis, Les Monstresses, 1979),
Corbucci ou Steno, CV pas dévalué, loin s’en faut, à la cinquantaine de titres
hétéroclites.
Cependant l’essentiel de cette
actrice talentueuse et belle, amusante et séduisante, se situe au sein de cinq items remarquables et remarqués,
desquels vous vous doutez : L’avventura (1960), La
Nuit
(1961), L’eclisse, Le Désert rouge (1964), Le
Mystère d’Oberwald (1980), pentalogie jolie, de l’épris et séparé
Antonioni. Ici, là-bas, une forme de modernité, pas seulement du/au ciné,
Monica incarna, nouveau corps en marche et en surface, au creux de décors
(méta)physiques, sensoriels et symbolistes, fenêtres-écrans d’antan, d’une
façon différente de filmer le temps, ouvertes sur une extériorité intériorisée,
suspecte, experte, irradiée d’errance, de seconde chance, de solitude, de
finitude, de capitalisme, d’industrialisme, d’anarchisme, because Cocteau en vidéo. Les opus
poétiques et politiques du caro Michelangelo ne magnifient une muse soumise,
passante, passive, éculé cliché à écœurer les furies féministes, ils permettent
de ressentir l’avènement d’un lent mouvement liquide empli de vide, d’attente,
de passion, de pardon. Au centre et au carrefour des flux figés, furtifs,
scrutés, structurés, par une caméra singulière, altière, le corps et l’esprit
de Monica Vitti, sa voix, son visage, ainsi s’envisagent en énigmes intimes, en
témoignages-paysages d’une immanence désarmante, fissa transformée par
l’objectif complice en transcendance stimulante, ou assommante, suivant la
perspective, le dynamique et sardonique Dino du Sorpasso (1962), ni le
classique et sarcastique Billy Wilder ne diront certes le contraire. La suite
de sa carrière ne s’apparente pourtant à un reniement de saint Pierre, plutôt à
l’envie avérée de changer d’air, de respirer ailleurs que parmi pareille
parenthèse supérieure, sise sous le sceau du sentimental malheur. Dotée d’une
fausse froideur de fausse blondeur, l’artiste intelligente et indépendante sut
en douceur s’affirmer, se métamorphoser, sa crinière (dé)colorer, sa persona renouveler, quitte à retrouver
sur sa route encore des couples en déroute, c’est-à-dire, en définitive, savoir
tenir tête, non en militante écumante, en rivale triviale, davantage joueuse
joyeuse, aussi sereine hors-scène que sa consœur Sophia Loren, à quelques mecs
tout sauf abjects, pourvus d’une propension à l’autodérision, aussitôt citons
les noms de Gassman, Manfredi, Mastroianni, Tognazzi. Alors, parions cela, personne
n’oubliera Monica, à moins d’abolir l’oblitéré cinéma.
Merci pour ce très bel hommage à Monica Vitti, une telle voix magique et une si subtile élégance...
RépondreSupprimer(Quelques petits souvenirs italiens partagés avec Romy https://jacquelinewaechter.blogspot.com/2010/01/vittiun-po-della-sua-vita.html )
Merci aussi ; Vitti/Annie :
Supprimerhttps://www.arte.tv/fr/videos/106620-000-A/histoire-d-aimer/
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/05/un-film-une-ligne.html