Tiresia

 

Un métrage, une image : Les Cannibales (1970)

De Cavani, qui ne connaît (que) Portier de nuit (1974) ? Quatre avant ce scandale sentimental, elle se soucie de Sophocle, surtout de l’époque. Anouilh dérouille ? Ekland s’y colle, Boccardo illico, Clémenti à la mer, Milián se mouille. Britt bientôt tabassée, torture de chaise à roulettes, de mecs, mazette, ressemble un brin à Axelle Red, Pierrot, en perfecto, glossolalies aussi, à un employé de poissonnerie, Tomas, méconnaissable, ne boit la tasse, résiste in extremis, tandis que Delia baiserait bien à l’improviste, à proximité de cavaliers aristos, occupés au polo. Conspué par la critique d’hier et d’aujourd’hui, I cannibali s’avère vite une comédie noire plus ou moins (in)volontaire, dont la Milan d’antan, grise et humide, (ba)lourde et (terrain) vague, évoque la Grèce d’Angelopoulos ou davantage de Costa-Gavras, car les colonels contrôlent, les généraux gèrent, l’armée maintient l’ordre et la loi, recrute de surcroît, avec des jouets colorés, tels ceux des entretiens d’embauche badins d’Ikea. Auparavant se déroule une poursuite à poil et à poils, because bergers forcément allemands aux fesses des fuyards désapés, fissa rhabillés en curés. Dystopie drolatique, elle dévie du didactique vers le ludique, thème amène de Morricone ad hoc, elle anticipe en sourdine le fascisme sardonique de Paso à Salò, cf. la scène espiègle du sauna (pas) sympa, au mouflet en uniforme transformant les hommes mis à nu, bis, en modèle d’humiliation, The Human Centipede (Six, 2009) façon. Le film d’infanticide en prologue, de fusillade en épilogue, accumule les cadavres exquis qu’interprètent, si l’on peut s’exprimer ainsi, des théâtreux issus de Romagne-Émilie, happening immobile, entre figuration et protestation, dispositif rassis, dans le récent Madres paralelas (Almodóvar, 2021) repris. Ici, on bénit en blanc les gisants, on avale en famille, TV à vomir, la propagande gouvernementale, on incarne un Charon d’occasion, on encaisse de l’État et des médias la coercitive collusion, et même le fifils du Premier ministre, en pleine crise d’Œdipe, se terre, à terre, à l’asile, au creux duquel une demoiselle, de Joan Baez jumelle, ne se fait en gang bang baiser, bis, puisque proie de pensionnaires que son corps indiffère, désireux de s’amuser en simples sportifs, au moyen de l’uniforme, bis, bleu pétrole de la chanteuse saine et sauve, impassible, en soutif, chansonnette impec. Cernée d’« experts » doux-amers, l’Antigone bonhomme soigne son panard, subit leurs lucides et cyniques bobards, moralité résumée à moitié en français : « Une puissance sans son enfant terrible est une puissance incivile et destinée à périr ». « Exhibitionnisme » instrumentalisé, « potentiel révolutionnaire de société capitaliste » exploité sur le vif, mode, spectacles, publicité, olé, la jeunesse en détresse se (re)cherche, victime du voyeurisme réversible, les notables avides derrière les stores, la foule maboule au cœur du sinistre décor, contre lequel la campagne de la coda optimiste, récolte de révolte, Hémon et ses mectons, dessine un éden silencieux, ensoleillé. Visionné en VOST restaurée, le métrage mutique, christique, de la signora Liliana, ex-documentariste spécialiste du nazisme, du pétainisme, de Galilée, ensuite du SM à croix gammée, divertit plus qu’il séduit, en dépit de cadres déterminés, d’une bienvenue brièveté.              

Commentaires

  1. Merci pour ce bel article relatif à une forme filmée et avant-gardiste de tragédie contemporaine .
    "Un analyste de Barclays prédit qu’Apple est capable de vendre 5 à 10 millions d’iPad mini au quatrième trimestre, avec un taux de cannibalisation de 25 à 50 %. "
    (L’iPad mini est-il trop cher?, L’Express.fr, 24 octobre 2012)

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    1. Bon appétit, pardi :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/01/the-green-inferno-la-foret-demeraude.html

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