Les Deux Anglaises et le Continent : Polaroïd de Charlotte Rampling
Charlotte for
ever, of course.
Talentueuse, audacieuse, chaleureuse :
trois épithètes parmi d’autres pour définir une actrice, une persona une femme. Charlotte Rampling
vécut plusieurs vies, sur et au-delà de l’écran. Mannequin pour Helmut Newton,
épouse de Jean-Michel Jarre, soutien de Nicolas Sarkozy (cherchez l’erreur) et,
surtout, avant tout, collaboratrice de Visconti, Boorman, Liliana Cavani,
Chéreau, Dick Richards, Boisset, Michael Anderson, Deray, Joy Fleury (ménage à
trois entre Myriem Roussel & Andrzej Żuławski, oui, oui), Ōshima, Parker,
Ozon, Cantet, Michael Caton-Jones, von Trier ou Maddin – liste chronologique et
subjective, sa filmographie compte aussi des rencontres avec Lester, Annakin,
Corman, Richard C. Sarafian, Adriano Celentano (Dio mio !), Ripstein,
Allen, Lumet, Lelouch, Cacoyannis, Irvin, Tony Scott, Marion Hänsel, Michel
Blanc, Mike Hodges, Jewison, Enki Bilal, Gianni Amelio, Dominik Moll, Julio Medem,
Kassovitz fils, Maïwenn, Todd Solondz, Mark Romanek, Lech Majewski, Fred
Schepisi, August ou Wenders, sans omettre, à la TV, avec Sidney Hayers (chapeau
rond et bottes brillantes), Boris Sagal, Molinaro, Pierre Granier-Deferre,
Josée Dayan et Gérard Pullicino + des participations à l’ironique Dexter
ou au soporifique Broadchurch. Plus de cinquante ans de carrière pour la gamine
de Sturmer, village de l’Essex, par ailleurs fille de militaire, de peintre et
sœur endeuillée, « orpheline », dépressive, d’une Sarah (le prénom de
son personnage dans Swimming Pool, psychodrame solaire et gentiment pervers, molto
méta, voilà, voilà) suicidée, sa mort volontaire déguisée en maladie, en « secret
de famille » à usage maternel (elle-même deux fois « donna le jour »
à des mâles, servit de belle-mère aimante à la créatrice de mode Émilie Jarre).
On pouvait écrire supra :
courageuse, vénéneuse, mystérieuse, comme un journaliste, comme un fan, comme un cinéphile, alors qu’il
n’existe aucun mystère, ne règne que la matière, a fortiori au cinéma,
royaume de l’artifice, du faux, des faussaires, hélas, alors que les « femmes
fatales » (son emploi dans le dispensable Adieu ma jolie ou le
publicitaire Angel Heart), idiome francophone,
n’incarnent rien d’autre qu’un besoin masculin d’autodestruction, alors que le
courage, le vrai, se situe par exemple dans une chambre d’hôpital, loin des « scandales »
du « septième art » (Portier de nuit, belle histoire
d’amour imparfaite et impossible, vilipendé par une Pauline Kael, naguère
arbitre anecdotique du bon goût et des bonnes mœurs cinématographiques).
Par-delà les ratages (Zardoz, La Chair de l’orchidée, Basic
Instinct 2, Melancholia) et les réussites (Les Damnés, Orca,
Max
mon amour, Angel), on l’admira, on la reconnut et redécouvrit dans Sous
le sable, film de fantômes, film au carré, donc, récit de renaissance
(voire de déni) et retour au cinéma après un combat (une fatigue de) avec soi.
Technique et instinctive, plurielle et rebelle, protestante et « déviante »,
à distance et à fleur de peau, « exotique » des deux côtés de la
Manche, typiquement britannique et française avec élégance, Charlotte Rampling
choqua (le bourgeois), chanta (un peu, pas trop mal), écrivit (son
autobiographie), séduisit (avec lucidité, elle avoue avoir capitalisé sur sa
beauté, s’en être servi pour vite explorer les facettes exigeantes de son
métier), privilégia le cinéma dit d’auteur(s), monologua (le chut… chut, ma
chère de Robert Aldrich nous démange un chouïa) dans un documentaire allemand longuet,
rempli de truismes existentiels et de guest
stars en faire-valoir.
Elle conserve aujourd’hui sa
tristesse, sa délicatesse, son sourire et son enthousiasme, cousine ou
frangine, allez, d’une Jacqueline Bisset moins portée sur l’œuvre au noir, pareillement capable de rire et de faire rire, de jouer avec son image. Ni glaciale ni
provinciale, ni hautaine mais, peut-être, enfin, souhaitons-le-lui, davantage
sereine désormais, elle raconte son insaisissable et cependant évidente intériorité
avec son visage, avec son langage, avec le paysage automnal, pluvieux, vital,
radieux, qu’elle sait susciter au détour d’un plan, d’une réplique. En reflet
infidèle, délocalisé, de « notre » Catherine Deneuve (drame personnel
miroité), voici une « légende » (une aristocrate démocrate) que l’on
ne rêve pas de serrer dans ses bras (elle ne le désire pas, anyway, quoique) : mieux, une
présence pérenne de valeur et une personnalité estimable, singulière, altière
et attachante dans sa drôle de profession surfaite, parfois superbe.
Très bel hommage, d'une écriture pleine de sensibilité, élégance et discrétion : https://fresques.ina.fr/festival-de-cannes-fr/fiche-media/Cannes00168/charlotte-rampling-et-tennessee-williams-membres-du-jury-au-festival-1976.html
RépondreSupprimerCes qualités (merci !) miroitées par la muse d'outre-Manche, bien sûr.
SupprimerLa camaraderie très américaine du sieur Tennessee...
Et revoilà le plus sombre Saura, reparti avec un "grand prix spécial du jury" partagé par Rohmer via sa marquise à la Kleist davantage qu'à la Réage :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2016/03/cria-cuervos-les-grandes-vacances.html