Devilman : Démons
Satan bouche un coin ? Mon Dieu, pas vraiment !
Ou le naufrage de Gō Nagai, « le
créateur de Goldorak », jacte la jaquette juvénile. Dans ce goulash
oriental lourd à digérer, divers ingrédients alimentent la centrifugeuse
démente : maladroits clins d’œil aux Chariots de feu (course au ralenti),
à Carrie
au bal du diable (harcèlement entre lycéennes), à Kids Return (violence
machiste), à The Thing (démon des glaces, pas celui de Tardi), à Romero
(mondialisation de la contamination, retransmise via les apparitions d’un colosse noir à rendre hilare,
l’impressionnant Bob Sapp, vu dans le caca Elektra, ici coryphée tricéphale de
JT) + un égaré couteau de giallo, sans omettre les marqueurs paresseux d’une
identité-imagerie supposée nippone (jeunes filles en uniforme et jupette ou sa
variante, succube immaculé en culotte blanche, collectivité contre individu,
conservatisme versus différence,
militarisme expéditif, eschatologie à la Nagasaki) plus un zeste d’inceste (par
procuration, rassurons les plus pudibonds) et un soupçon de syncrétisme (une
pincée de satanisme mal acclimaté, plutôt, le dessinateur aperçu lors d’un
caméo quasiment subliminal costumé en curé). Cela se voudrait, dès la mise en
abyme de l’ouverture, un conte pour grands enfants un peu pervers et ceci
s’avère, au final, au bout de très longues cent quinze minutes (les
dispensables suppléments du DVD M6 en rajoutent une couche maousse supérieure à
une heure, palme remise de bon cœur à trois bandes-annonces roboratives, celles de l’improbable New Mad Mission avec Tony Leung Chiu-wai en tireur bourré, du
savoureux Festin chinois de Tsui Hark mitonné par le regretté Leslie
Cheung, du surréaliste et zoophile Le Catcheur calamar, au titre
idoine), un décompte de patience et d’endurance pour le spectateur assommé par
l’insipidité, la vanité, le risible esprit de sérieux de l’ensemble (une scène
cristallise la mélasse mélodramatique, l’alter
ego inversé, blond démon, en pietà
de fada tout près du torse amputé du héros, s’esbaudissant de son sourire post-mortem, amen, le Tod Browning de L’Inconnu s’en marre encore).
Devilman – on retient ses sarcasmes à ce
patronyme de BD US – se verrait bien en relecture de l’infernal Dante et
surtout d’un manga contemporain d’un dessin animé télévisé, diptyque culte
là-bas, voilà, voilà. Hélas pour moi (dirait Godard), tout ce pataquès
prodigieusement catastrophique verse dans le patatras davantage que dans le
verset, la faute, le péché, à un casting
exécrable (duo de guignolos jumeaux à micro filmés en champs-contrechamps,
comme un seul acteur dédoublé, comme si le virtuose et bouleversant Faux-semblants
n’existait pas ; mannequin aussi expressif qu’une langouste en Lilith
anorexique ; parents navrants en famille d’accueil prête pour le cercueil)
et à des effets spéciaux au niveau Ground Zero de l’expressivité graphique, au
pire croisement du jeu vidéo anémié, désincarné (ah, ces râles dérisoires
d’effort, d’agonie) et de l’anime désargenté, so cheap (celui naguère
infligé à la génération traumatisée du Club Dorothée). Tout ce fatras de
n’importe quoi, mixage de possession, de dénonciation, de manichéisme,
d’homoérotisme (notez notre saint Sébastien canardé sur sa croix SM de saint
André), se terminera, lors d’un épilogue écologique sur fond de chansonnette
sentimentale déconseillée aux mélomanes diabétiques, dans les ruines de la
ville et du film, un Adam et Ève de pacotille, frère et sœur désaccordés, en
orphelins sur le point, qui sait, dans quelques années, de copuler afin de
repeupler l’espèce et de s’en aller mater le Legend de Ridley Scott ou
le Perfect
de Michael Ninn, deux métrages presque admirables, en tout cas pourvus d’une
véritable grâce, classée X ou en fantasy,
portés par des diables foutrement et fantastiquement séducteurs aux prises avec
des anges déchus, mis à nu, des licornes phalliques et des ondines promptes à se damner.
Emballé avec un formalisme de
téléfilm par un tâcheron décédé peu après (il doit désormais rôtir au paradis
du pire), le brouet, logiquement, ne convainquit personne, ni les fans ni les néophytes, japonais ou
résidents de l’étranger. Au détour d’un plan ou deux, voire trois, il laisse
cependant entrevoir un possible palimpseste, ce qui pouvait en surgir avec
moins de pesanteur, de boursouflure, de stupidité obstinée – des visages de
suppliciés-ingurgités décorent la carapace d’une tortue tordue, une double colonne
de maudits naturistes à la Lars von Trier, à la pub-partouze Sanex, à la
Michelangelo de Tokyo, s’élève superbement dans les cieux, un gosse sidéré
assiste à l’embrasement connoté d’une cité, une patte démoniaque étreint une
main humaine en reprise du contact surnaturel de la chapelle Sixtine dû à
Michel-Ange, bis. Ces instants
infinitésimaux ne permettent pourtant aucun sauvetage à long terme du métrage
et la barque (de Charon) crue baroque coule dans sa propre houle de maboul pas
si cool, carrément à la con et non
abscons. L’Apocalypse-Armageddon selon Hiroyuki Nasu, on s’en fout, on s’en
contrefout, elle nous casse les genoux et autre chose. Allez, on met sur pause
(en lecture-écriture accélérée) la purge régressive et l’on retourne, du moins
en pensée, au côté du prince d’Euphor, du professeur Procyon, de Vénusia, de
Minos, des golgoths aux numéros de série ahurissants, à ce bout de Japon en
madeleine proustienne du petit écran d’enfance. Actarus rules !
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