La Femme que l’on désire : Un soir, un train
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Kurt
Bernhardt.
Marlene Dietrich n’attendit pas de
rencontrer Josef von Sternberg pour avoir du talent, pour savoir comment le
déployer à l’écran. Preuve supplémentaire avec ce mélodrame suprême et muet
d’une surprenante vitalité, d’une constante beauté. Le réalisateur (pas encore
« américanisé ») transforme un argument de vaudeville (bouquin du
« kafkaïen » Max Brod adapté par Ladislaus Vajda, scénariste complice
de Pabst) en tragédie pulsionnelle, reconfigure la géométrie rassie du « triangle
amoureux », du « ménage à trois », en ligne droite vers le vide,
en boucle bouclée vers une vie tracée, en élan vers le firmament et
l’épuisement épousé par une caméra souvent en mouvement. On peut penser à du
Murnau (la fondation du même nom se charge de l’exemplaire restauration) hétéro,
à du Hitch sans cynisme, à du Bernstein (Henry, pas Elmer ni Lenny) revisité
par un Resnais de Germanie (Sud français de studio, de maquettes) mais le film,
heureusement, ne ressemble qu’à lui-même, séduit par sa lucidité, sa dimension
réflexive, l’intelligence de sa partition orchestrale, signée par un Pascal
Schumacher totalement à l’unisson des images lustrées, brillamment enténébrées
de Curt Courant (L’Homme qui en savait trop en noir et blanc, La
Bête humaine, Le jour se lève ou Monsieur
Verdoux).
Si la chère Marlene fait une première
apparition mémorable, surcadrée par la fenêtre enfumée d’un compartiment floconné,
sur le départ, pure créature de cinéma méta et pourtant femme « comme les
autres », naturelle, matérielle, sensuelle et plurielle – de quoi attirer
le terrien Gabin, peu préoccupé de spiritualité –, si elle captive l’objectif
et le regard par son aura, sa
présence, son humour et sa distance, si elle meurt magnifiquement (celui qui
tua pour elle, à la Frank Miller, finit par la tuer, elle, qui accepte de
mourir, dos tourné au passé, dans sa tenue immaculée de criminelle par
procuration, veuve joyeuse et triste en cristallisation-incarnation des
réjouissances funèbres de Weimar, avec réveillon dans un grand hôtel enneigé à
la Shining,
peuplé de fantômes d’une époque inaccessible, d’une cinématographie défunte et
fraternelle), ses deux partenaires, Fritz Kortner (Loulou) et Uno Henning (A
Cottage on Dartmoor), ne déméritent pas, mâles enfantins et chagrins,
satellites lubriques (le métrage commence par une explicite partie de billard,
queue et boules comprises, se poursuit par une rencontre ferroviaire,
locomotive et tunnel, mortel amour aux trousses, s’amuse au montage avec un
freudisme illustratif, où la fonderie familiale en faillite devient une hydre
phallique) et innocents, consentants, soumis à un astre noir (et châtain, pas
encore blond) d’attraction, d’illumination, d’extase et de désastre.
Les « femmes fatales »
n’existent pas, le cinéma, oui, qui parvient ici, de manière superbe, à
évoquer, à donner corps à un « coup de folie », à une fuite gratuite,
loin de la douce, jolie, sincère et angélique Angèle (Edith Edwards, comète de
cinémathèque, comédienne à succès sur scène, similaire foyer à sa façon,
surtout quand elle attend en souriant sur la couchette sa défloration). Se
moquer de cette mythologie faussement expressionniste, lui reprocher un
moralisme bourgeois (Surmoi policier en costume et en coda) ou, pire, les
célébrer en nostalgique du « cinéma en soi », avant la « souillure »
du parlant, reviendrait à commettre une triple erreur, de jugement et de
perception : La Femme que l’on désire (aka
L’Énigme),
film que l’on aime, film de cinéaste (pléonasme pas aussi courant que l’on
croit, hélas), film qui sonde avec maestria, élégance (direction artistique
irréprochable du suicidé Robert Neppach) et brièveté la sauvagerie et la
tendresse du désir, la véracité et les artifices des sentiments, la volonté (en
parité) d’émancipation, d’autodestruction, mérite mieux que tout ceci, que ce
ramassis d’a priori, quand bien même,
après Crash de Ballard & Cronenberg, le sexe sentimental pénètre
dans la SF, relègue ce qui le précède à une sorte de préhistoire, d’archéologie
érotico-sociologique.
Il s’agit, essayons à son instar de faire court et
rapide, intense et lyrique, d’un chef-d’œuvre de poche, d’une
mise à nu de la chair irrationnelle dans sa robe déchirée d’idéalisme, d’une
leçon de cinéma (de psychologie appliquée) sur les puissances et les errances
du « septième art », d’un poème de sperme, de sang et de larmes, d’un
portrait de femme candide (percevez la provocante pietà), coupable (de respirer,
d’ensorceler) et d’hommes émus, immatures, rapidement adultes, dessillés (de
spectateurs, donc). Vive l’immortelle Marlene et vive le cinéma allemand,
exhumé, vivant !
j'ai du mal avec les films muets mais à voir, je connais Marlene sur des films où elle était bien moins jeune et les joues moins rebondies !!
RépondreSupprimerHâtez-vous, en tout cas, d'aviser celui-là, réellement "royal" !...
Supprimerhttp://www.arte.tv/fr/videos/046543-000-A/la-femme-que-l-on-desire
"L'envie, qui s'attache à toutes les belles œuvres, comme le ver aux fruits, a essayé de mordre sur ce livre, ..." Balzac, Les Illusions perdues,1843. L'Énigme (titre original : Die Frau, nach der man sich sehnt)
Supprimerun film allemand réalisé par Curtis Bernhardt, sorti en ...1929 !
Date fatidique, pour la peau (des petits porteurs), pour le chagrin (des moins-que-rien)...
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