Meccano métaphysique


L’identité en pièces détachées, la puberté sur le point d’être dépassée, l’écriture des ténèbres afin d’illuminer les hommes et les femmes aveuglés…


Aujourd’hui, l’hubris ne passe plus par une résurrection bricolée, escamotée, foudroyée, en blasphème puritain délicieusement châtié, cependant, puisque la Créature anonyme, solitaire, philosophe et rageuse de Mrs. Shelley s’exprime comme un lord, même au bout de la banquise. Le « marché du vivant », au croisement de la thérapie génique, de l’eugénisme a-idéologique et d’intérêts financiers (lucratif capitalisme du corps) reformulant une quête humaine antique d’éternité, agit sur la vie, la modifie déjà, au lieu de s’échiner à la recréer. Au cœur révélateur du village global des damnés (Poe, McLuhan, Wolf Rilla & John Carpenter), les angelots aryens nous promettent de merveilleuses atrocités, de magnifiques mutations d’ADN, davantage vertigineuses que les CGI les plus dantesques.   


Pris dans la chrysalide tragi-comique de l’adolescence, les sympathiques apprentis sorciers du regretté John Hughes, adeptes avant l’heure du DIY, paraissent bien vieux, sinon poussiéreux. Le monde change et va plus vite que le cinéma – ce truisme n’empêche pas Audrey Jeamart (dans son laboratoire) de célébrer le trentenaire Une créature de rêve, en l’occurrence Kelly LeBrock, fantasme ambulant (Gene Wilder se souvient encore de sa robe rouge aérienne) et pensant alors dans l’éclat mannequiné, permanenté, aérobique, madonnaesque et souriant de ses vingt-cinq ans, depuis reconvertie en ex-femme de Steven Seagal, mère, fermière, cuisinière, propriétaire d’un ranch et d’un caisson hyperbare, homéopathe, philanthrope et « défenseure » de tous les femmes « abusées ».



Une transcription littérale, fidèle et adulte du roman mythique (à quoi bon le lire, puisqu’on connaît le film ?), gothique et dialectique de Mary Wollstonecraft Goodwin, fille de féministe et de réformiste, personnalité endeuillée, écrivain précoce et conservatrice désenchantée, emportée prématurément à l’âge de cinquante-trois ans par une tumeur au cerveau (Victor Frankenstein dut apprécier l’impitoyable ironie) demeure certes à réaliser. Mais la mélancolie de l’ouvrage, bloc d’abîme (dirait Annie Le Brun) voisin de la nuit sadienne, continue à nous éclairer dans notre moderne obscurité valant bien celle des Lumières. Ne cherche pas le monstre ailleurs que dans ton miroir : moralité cruelle et actuelle d’une histoire immortelle, avec ou sans Karen Blixen...



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