Le Labyrinthe de Pan : Le monde ne suffit pas


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Guillermo del Toro.


Devenu le fonds de commerce paresseux du fantastique hispanique, le franquisme (sa représentation, plutôt) rencontre ici une fantasmagorie hautement référentielle. Ofelia (voilà, voilà) meurt dès le départ et le film, assez long, lisible en version féminine du déjà raté L'Échine du Diable (on ne dira rien de l’anémique Cronos ni de l’infernal Hellboy), retrace de manière scolaire, privée de toute vraie surprise, sa découverte du pays dédoublé des horreurs. La superficialité décorative caractéristique du réalisateur relit son éducation catholique (motif central du sacrifice d’Abraham), se borne à la caricature (républicains héroïques, capitaine œdipien) et résout la tension entre les univers, l’ambiguïté de leur césure, par une question de perception, une réalité de subjectivité : à l’orpheline combative le royaume solaire, au père indigne les ténèbres du vide (l’ultime plan floral et entomologique paraphe l’existence de la magie niée par la mère, acte de foi rassurant dans le cinéma et les lendemains meilleurs). Une distribution à l’unisson (mention spéciale à Maribel Verdú, la reine criminelle de Blancanieves) rédime un peu un conte de fées manichéen, œcuménique (succès critique, public, professionnel), finalement bien propre sur lui malgré une imagerie organique à ravir les exégètes freudiens (sans parler de la dimension incestueuse propre à ce type de littérature, naguère explorée par Jacques Demy, disons), rétif à verser dans le mélodrame (contrairement au maternel L’Orphelinat) et dont la puissance esthétique de parabole politique (se conformer ou désobéir) fait piètre figure (aveugle, les yeux greffés aux paumes) si comparée à La Résidence, Anna et les Loups ou surtout Cría cuervos, envoûtants témoignages métaphoriques contemporains de l’agonie d’un régime qui voulut, en bonne orthodoxie dictatoriale, redessiner le réel selon son désir morbide et à sa détestable mesure hypocrite.

                  

Commentaires

  1. Suite à un commentaire laissé ailleurs, voilà de quoi m'encourager dans ma première appréciation et à me décourager de revoir ce film. Comme je suis d'accord avec ce que vous signifiez sur la représentation franquiste (le prétexte franquiste ?). J'ajouterai volontiers aux films que vous citez (je ne connais pas La résidence), L'esprit de la ruche, excellente incursion fantastique et critique de la dictature à l'époque-même où la dictature tenait encore. Pour ne pas être complètement négatif à l'égard de del Toro, disons qu'il est parvenu à une mise en image assez sublime du fantastique et que la vague fantastique espagnole des années fin 1990-2000 lui doit certainement beaucoup.

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    1. Je vous le recommande vraiment, même dans la VF délavée du DVD paru chez René Chateau. Abandonnée, abordé ailleurs sur ce blog, travaille une veine similaire dans un registre disons tarkovskien. Toujours pas vu cette histoire d’abeilles plébiscitée un peu partout, mais cela viendra sans doute. Le sublime, dans la définition qu’en donne Kant, fait passer sur le spectateur un frisson de saisissement, sinon d’horreur, devant la grandeur de ce qui lui fait face, sa radicale altérité ; rien de cela, selon moi, dans le bestiaire bien lisse ici déployé. Quant au surgissement du néo fantastique ibérique, n’oubliez pas l’importance d’Almodóvar, co-producteur avec son frère de L'Échine du Diable…

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    2. Tentative de texte consacré à JADE

      http://abientotjespere-nikola.blogspot.fr/2016/08/dans-les-griffes-de-jade-propos-du-film.html

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    3. Essai très réussi, placé puis commenté où vous savez...

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    4. désolé d'avoir posté ce lien sur Jade au mauvais endroit.
      Etrange cas que celui de Guillermo Del Toro: homme affable, passionnant (si j'en crois ses entretiens), artiste polyvalent et doué (ses croquis sont magnifiques)... mais au final, des films dévitalisés, inertes, presque morts. Ses poèmes intimistes (L'échine du diable, Le labyrinthe du Pan) sont dénués de magie, d'imaginaire, de trouble et le résultat tristement académique (un comble) ; ses divertissements sont souvent laids (Blade 2, Pacific Rim) et l'humour de troisième zone (Hellboy) accable. Une exposition Del Toro a lieu à Los Angeles en ce moment, moi qui déteste les expos de cinéma (où est le mouvement?), je suis sûr qu'elle mettra pourtant parfaitement en valeur le meilleur de son art.

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    5. No problemo, dirait Bart Simpson...
      Je me garderai bien de passer une seconde couche sur vos propos pertinents et cinglants, sinon pour affirmer mon immense fatigue de cinéphile face au cinéma d'ex-gérant de vidéo-club (Tarantino and Co.) ou de fanboy nourri aux comics (on peut apprécier au même moment de l'adolescence Poe & Steve Ditko sans se limiter à cela, ni ressasser ses premières amours de manière puérile ou, comme ici, faussement adulte).
      Exposer les films ou leur genèse, pourquoi pas, mais alors à la façon de Douglas Gordon et de sa mémorable installation dédiée à Psychose au ralenti, 24 Hour Psycho, inspiration du très antonionien Point Oméga de Don DeLillo...

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