Mon nom est Personne : Mondwest
Traquenard pour « Beauregard » ? Moralité de voir,
croire…
Évacuons la question concon de
l’attribution, de la (dé)possession : les styles (s’)identifient, ils se
pastichent, se parodient aussi. Voici justement le sujet, l’énoncé, d’un item à double titre synthétique, au sens
de somme, résumé, d’imitation, de simulacre. Presque pirandellien, Mon nom est Personne (Tonino Valerii, 1973) repose sur la permanence des
apparences, sur une série d’illusions, donc de désillusions. Ici, une mine
minable sert au blanchiment d’argent, pardon, d’or dérobé ; ici, la
fraternité s’affiche en facticité, esquive la rance vengeance ; ici, le
duel final ne s’affirme fatal, davantage arrangé, médiatisé, truqué, à l’instar
de la fusillade finale du simultané L’Arnaque (George Roy Hill). Film de
reflets, de plans surcadrés, de miroirs narcissiques, fatidiques, déformants,
amusants, film où un photographe, aimable « mise en abyme »,
immortalise une mort simulée, efficace, film où un nain hautain de fête foraine
ad hoc, baroque, joue au géant
dépité, dévalé, d’échassier écourté, Mon nom est personne commence puis
se termine dans la boutique d’un vrai-faux barbier, menaçant, menacé, l’idem « maniériste » Brian De Palma
s’en souviendra, dès le début en plongée sur Capone des Incorruptibles (1987).
Co-écrit par Ernesto Gastaldi & Fulvio Morsella « d’après une idée de
Sergio Leone », le script
associe plusieurs sources, carbure aux références, constitue un carrefour de
convergences. Au sein de Il mio nome è Nessuno se croisent,
s’entrecroisent ainsi la célèbre ruse d’Ulysse, la finissante « conquête
de l’Ouest », l’imagerie leonesque, celle du diptyque comique des Trinita
(On
l’appelle Trinita, Enzo Barboni, 1970 + On continue à l’appeler Trinita,
Barboni, 1971), celle, retravaillée, d’un fameux « Sam Peckinpah »,
lui-même enterré, mince, dont La Horde sauvage (1969) fantasmatique
se fait désormais décimer à la dynamite, fichtre.
Quant au très « regretté »
Ennio Morricone, il s’auto-cite, en sus de dévier les increvables, vénères,
cavalières de Richard Wagner, gros « troupeau » bientôt en hélico
dingo chez (Francis Ford) Coppo(la, Apocalypse Now, 1979). Obstiné,
obsédé, par le passé, par la trace à laisser, l’aventurier anonyme parvient à
convaincre le retraité du revolver de
ne pas partir pour l’Europe, sur la flotte, comme cela, quasi « en catimini », en marin « moins-que-rien »,
d’accomplir un dernier exploit. Ce dialogue dialectique entre Terence Hill
& Henry Fonda, eux-mêmes, au-delà du rôle, clairs symboles, « cas
d’école », quels yeux bleus, mon Dieu !, à base de déclassement, de
démission, de dégoût, de désinvolture, de démonstration, d’idéalisme,
représente un « passage de témoin(s) », un brassage de tonalités.
Mélancolique, ludique, étrange mélange matérialisé via l’irrésistible virtuosité du mélodique main theme, Mon
nom est personne esquisse une société modifiée, une violence dorénavant
dissimulée, installée, « légalisée », cristallisée par l’eastwoodien
Geoffrey Lewis. La co-production cosmopolite, italo-franco-allemande, due au
cinéaste de l’estimable Texas (1969), (re)lisez-moi ou pas,
relecture délocalisée du snuff movie automobile de JFK en 1963, déjà
dénonciation du racisme US, de Noirs auparavant incarcérés, à présent entartés,
prend acte de « l’acte de décès » d’un certain ciné, de son
esthétique, politique psyché. Une fois l’espace peuplé, les années, les rêves
envolés, le pays, plus reconnu, pourvu de malvenus, il faut fuir, s’enfuir, au
bord de l’amer, prendre la mer, à l’inverse du voyage invasif de Dracula, à
l’unisson de la tristesse existentielle des « assoiffés » d’Anne
Rice, aux « chroniques » contemporaines, au
« révisionnisme » very seventies, tel le western homonyme.
Néanmoins Valerii ne se soumet à la
consolante, mensongère nostalgie, lui adresse un évident démenti, se préoccupe
plutôt de fidélité à la foi de l’enfance, fait l’éloge de la patience, pas seulement
à la pêche, approuve le projet en preuve
d’humanité, surtout de masculinité. Drame souriant, voire l’inverse, démuni de
dames, délesté de temporalité transcendée, double différence, d’importance,
d’avec le mentor Leone, Mon nom est Personne portraiture des
tireurs sentimentaux, en sursis, perdus parmi des pantins mesquins, des
coquilles creuses, dangereuses. Il s’agit de surcroît d’une fable amicale,
dotée d’une fable animale, d’un cimetière immanquable, à proximité
d’Amérindiens muets, pourtant éloquents. Face aux mythes originels, « à la
truelle », alors malmenés par le doute dessillé, généralisé, causé par le
vaseux Vietnam, le vicieux Watergate, le terrorisme transalpin, l’intéressant
Tonino, a contrario de son « meilleur
ennemi » Sergio, refuse la stylisation exacerbée, le cynisme blessé, leur
oppose sa propre névrose, celle d’un univers évidé, condamné, désincarné.
Leone, d’un même élan, démystifiait, refondait, filmait le corps, la crasse, la
« civilisation », la « révolution », édifiait un univers
délétère, salutaire, héritier désenchanté de Ford admiré, la sinistre farce locale
du fascisme en filigrane. Valerii, moins opératique, plus pragmatique,
cartographie, outre une relation filiale, une faille fondamentale, un replay pasteurisé, une s(t)imulation à
la Jean Baudrillard, à la Michael Crichton, auquel j’emprunte bien sûr le synchrone
sous-titre de mon article. Mondwest (1973) décrivait un
Disneyland adulte, désorienté, une autarcie hédoniste, future, en rupture, un éden
de damnés au milieu duquel un mémorable, bressonien Yul Brynner, impitoyable
pistolero à la Spartacus, prêtait ses traits impassibles à une némésis androïde.
Mon nom est Personne lui répond à sa façon, au moyen de
l’évanouissement, de la dépersonnalisation, revisite à son tour le cinéma, éternel,
sinon sempiternel, mort-vivant émouvant. Au parc d’attractions détraqué, fissa
transformé en mausolée, au massacre sarcastique, historique, technologique, il
substitue une reconstitution de saison, en partie tournée in situ, au réalisme abstrait, CQFD. Du lupanar capitaliste à l’urinoir scatologique, d’un « musée
imaginaire », mortifère, au suivant, le tandem méta renvoie vers d’autres images, celles, sépia, des
« livres d’Histoire », celles, éclectiques, électroniques colorées, classées
« nouvelles », des années 80, « pub », « clip »,
compagnie, « tutti quanti », celles, en définitive, de notre
modernité numérisée, assez désolante, assez désolée. Comment ressusciter le
ciné, lui rendre son honneur, sa saveur ? Le questionnement reste
d‘actualité, déborde du cadre esthétique, économique, interroge un quotidien
tout sauf sain, serein.
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