Dirty Dancing : Tous les garçons s’appellent Patrick
Mièvrerie à mépriser ? Moralité à partager…
À Shula, à défaut d’Isadora
Rien de dirty, ici, au contraire, une coda communicative, qui explique, en
partie, un succès en salles et puis après. Dans Dirty Dancing
(Emile Ardolino, 1987), on assiste et on participe à une petite révolution, à
une grande réunion. Au creux des Catskills casher, la lutte des classes (et des
religions) se pacifie, un père perd sa fifille fissa femme, un gentil (sens
duel, psychologique + biblique) blouson noir (et un goy, bigre) professeur, aux
faux airs de rockeur, regagne son honneur. Chorégraphiée par Kenny Ortega,
rescapé du (pas si) relou Xanadu (Robert Greenwald, 1980),
déployée par deux duos dédoublés, ceux de Jennifer Grey & Patrick Swayze,
de Jennifer Warnes & (du bien nommé) Bill Medley, la séquence commence par
un « spectacle de patronage » (putain de pirate !) épuisant,
saisi en travellings d’ennui poli,
passe au steadicam tandis que Johnny
surgit, monte sur scène accompagné de (son) « Bébé », interrompt la pénible
prestation et impose la sienne, la leur, pour le bonheur des spectateurs
auditeurs, sur et devant l’écran, effet de reflet repris par la suite, grâce
aux « plans de réaction(s) » multiples. À l’éloge express, sincère, identitaire, de la
muse et partenaire – l’actrice et l’acteur, la danseuse et le danseur/chanteur,
apprirent eux-mêmes à se détester, à se respecter –, succède le single escorté de l’orchestre, unisson
de la (vraie-fausse) musique dite diégétique et de la « musique de source »
présente, représentée. Une fois les lumières baissées, le public en train
d’apprécier, le cinéaste associe plans d’ensemble et plans (collés) serrés. Ce climax guère dégueulasse, éclairé en tonalité
rosée, propose par conséquent l’apogée d’un numéro travaillé tout l’été,
possède un modeste travelling
circulaire à 360 degrés, unissant les espaces pas opposés. Gracieux,
talentueux, la nana en blanc et le type en deuil font de leur mieux, sans « en
mettre plein les yeux » (ni les oreilles), respirent un peu, se sourient,
pleinement dans l’instant et apparemment heureux.
Même le saut, accompli au ralenti,
passe sans souci, amitiés à la dramatique Romy, car Ardolino, qui signa aussi
le sympathique (et certes anecdotique) Sister Act (1992), idem musical, cette fois-ci à chorale,
qui d’ailleurs décéda, à cause du sida, à la cinquantaine, ne fait point (son)
le malin, ne manipule des transparents pantins. Il enregistre en douceur une
transgression démocratique, celle du proscenium
aussitôt traversé, renversé ; rappelons que le final effroyable de Phantom
of the Paradise (Brian De Palma, 1974) proposait déjà un happening, davantage de folie
collective. Les observateurs spécialisés, LGBT orientés, souligneront que le
réalisateur homosexuel magnifie le corps et la gestuelle du sieur Swayze en
sueur. En tant que cinéphile straight,
je préfère relever (saluer les gambettes impecs de Mademoiselle Grey) la
dialectique physique, very US, entre
l’individu et la société, le mouvement et l’immobilité, le paria et la joie (de
vivre, de danser, d’aimer), jusqu’à l’assomption du porté iconique, presque à
la Titanic
(James Cameron, 1997). Pourvu de sa plaisante simplicité, de sa sentimentalité
assumée, généreuse plutôt que sirupeuse, en sus du script autobiographique d’Eleanor Bergstein et du montage rythmique
de Peter C. Frank, l’Émile, jamais malhonnête, parvient à s(t)imuler une
sensation de direct, à immortaliser un entraînement « bon enfant »,
dont se souviendra, en mode miroir, relecture assombrie, inversée, l’orgie à
proximité du gibet du Parfum (Tom Tykwer, 2006), extase
sexuelle d’assassin en série, de mouchoir à chérir, de chair à déchirer. Amusante et concordante, la conclusion de Dirty Dancing affiche ainsi une
Amérique (nordiste) œcuménique, réconciliée, « colorée », juvénile et
âgée, où dansent (et s’expriment), enfin ensemble, des hommes et des femmes
euphoriques, sinon euphorisants, baiser de karaoké inclus, bienvenu, et Frances
hissée à bout de bras, parmi la houle de la foule, joliment (sur)agitée en grue
pas m’as-tu-vu.
Signalons une singularité : seule
l’adultère vénère, cependant vêtue en
blanc, interprétée par Miranda Garrison, au passage assistante d’Ortega,
s’abstient de se trémousser, s’en va, quitte la liesse généralisée, en réalité (d’économique
budget) calée sur la version (de
démonstration) du parolier Franke Previte, alors en tandem avec Rachel Cappelli, utilisée sur le set, because celle de
Medley & Warnes pas encore prête, et l’on doit au co-compositeur John
DeNicola itou l’item « affamé »
d’Eric Carmen. Dans la « vraie vie » à la Nerval, à l’écart des
artifices, des symbolismes, Jerry Orbach & Patrick Swayze crevèrent du cancer. Dans Dirty Dancing,
adversaires diplomates, leur belliqueuse masculinité tamisée par
l’intermédiaire d’une tendre (toutefois lucide, active) et attentive féminité,
ils continuent à s’animer, à virevolter, à égayer, au moins pour l’éphémère éternité
du ciné, du souvenir (loin du pire), au passé mondialisé, de l’exercice ludique,
mélancolique, nietzschéen ou non.
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