Cujo : Nous, les chiens
Réflexe de Pavlov ? Morsure de métaphore…
Le lucide Lewis Teague l’admet
lui-même : Cujo (1983) demeure son meilleur film. Désormais exhumé en blu-ray, en DVD, il mérite d’être
redécouvert aujourd’hui, a fortiori à
l’heure de la numérisation généralisée au/du ciné, de ses dommages animaliers,
cf. le récent ratage de L’Appel de la forêt (Chris Sanders,
2020). Enamourée de réalisme, en dépit d’un tournage assez surréaliste, la coda
de Cujo,
mélodrame maternel en huis clos d’immobile auto, ne peut pas ne pas rappeler
celle, décisive, des Oiseaux (Alfred Hitchcock, 1963).
Mais fi d’eschatologie, évacué le vol/viol de volatiles, exit la conclusion-sidération. Ici, un symbole de secours alpestre,
alcoolisé, bientôt caramélisé par l’increvable franchise Beethoven, se voit vite inversé, merci
à la vicieuse chauve-souris, passé fissa du statut de sauveur au grand cœur à
celui de danger en effet enragé. En chassant un lapin malin, le chienchien
trace ainsi son sinistre destin, idem
des tourmentés citadins. Vrai-faux western
de siège domestique, où la bagnole pas drôle évoque son homologue de Christine
(John Carpenter, 1983), se démarque de la diligence de jadis, où le canidé
insensé se substitue aux évidemment vilains Indiens, Cujo cartographie de
façon collatérale une Americana
rurale, comme encore à l’écart des années Reagan, de leur capitalisme, de leur
cynisme, immortalisés par la trajectoire jubilatoire, dérisoire, d’un certain
contemporain, nommé Tony Montana (Scarface, Brian De Palma, 1983). Si
saint Michel défaisait le Dragon, Donna dessoude à main armée, USA de NRA, vous
revoilà, le saint-bernard furibard, déjà empalé par une batte cassée, qui au
ralenti traverse in fine une fenêtre,
un an avant son ancêtre relou de La Compagnie des Loups (Neil Jordan,
1984). À quoi assiste le spectateur, au creux, au cœur, de Cujo ? À un combat canin
contre humain, d’abord imaginé, rédigé, transposé, par Stephen King ? À
une démonstration de tension, toujours ressentie après presque quatre décennies ?
À une leçon de cinéma, c’est-à-dire à
une réussite collective, dont chacun, surtout chacune, apports importants du
compositeur Charles Bernstein, du directeur de la photographie Jan de Bont, du
dresseur Karl Miller, du monteur Neil Travis, du producteur Daniel Blatt, des
scénaristes Barbara Turner (Pollock, Ed Harris, 2000) & Don
Carlos Dunaway, du jeunot Danny Pintauro, devient responsable, au service, à
l’unisson, du regard du réalisateur ? Oui-da, davantage, car Cujo
donne à voir une mater dolorosa, ose
une résurrection, tant pis pour la pietà radicale du roman original. Dans le
rôle d’une carrière, d’une mère, Dee Wallace s’avère exemplaire, sa performance
file des frissons à foison, bouleverse par sa justesse. Il faut à nouveau
l’affirmer sans se lasser : l’imagerie dite horrifique relève souvent du
mélodramatique, repose à satiété sur des héroïnes maltraitées, magnifiées,
sorte de féminisme pas réfractaire, plutôt réfracté, aux hommes la figuration, aux
femmes l’administration. En visionnant à la suite les huit movie clips de Cujo,
les trois featurettes complètes allant
avec, signées par le spécialiste Laurent Bouzereau en 2007, on saisit que Lewis
maîtrisait son sujet, accomplissait les promesses de L’Incroyable Alligator
(1980), alors pardonnons les déceptions de Cat’s Eye, du Diamant du Nil,
dispensable tandem de 1985. Échec
critique, succès public, Cujo sent le soleil, la saleté, la
sueur, le sang, comme peu de films US de ce temps ; conserve sa violence
vivante, vivifiante, vibrante ; possède son optimisme de catharsis, de
résistance, de résilience ; esquive l’infanticide sur une table triviale,
au petit-déjeuner diégétique, à défaut de diététique. Fidèle à l’esprit de
King, sinon à sa lettre, cette moralité imagée nous remémore que les monstres
les plus réels, menaçants, se situent, s’affrontent, au sein de la famille,
espace aussi anxiogène qu’une cour de ferme, à plus forte raison lorsqu’elle
appartient à un mécanicien, à la limite du malsain…
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